L’insouciance qui nous permet de vivre

Il arrive que, quittant soudain l’insouciance qui nous permet de vivre, on prenne conscience de la fragilité des choses. Et un abîme s’ouvre alors sous nos pas.

On marche, on court, on nage, on boit, on grimpe, on se repose ; on fait un de ces gestes que l’on fait chaque jour sans y penser ; puis on réalise brusquement que rien de ce qui paraît aller de soi ne va effectivement de soi : on pourrait perdre l’équilibre, mal calculer notre prise, avoir une crampe, avaler de travers, être tué par un fou ; rencontrer sur son chemin un de ces impondérables qui font basculer les vies.

Un vertige, alors, nous prend : et si cela advenait ? Et si ce que nous avons jusqu’ici considéré comme acquis ne l’était pas ? Et si un grain de sable venait tout à coup gripper la machine harmonieuse et infiniment délicate de notre corps qui nous permet d’aller et venir, de rire, de vivre, avec confiance en nous, en les autres et en l’avenir ?

J’ai connu hier un tel moment d’égarement (ou de conscience, peut-être) tandis que sortant de la rue de Grenelle je pénétrais sur l’esplanade des Invalides. La roue de mon vélo a heurté le trottoir, j’ai un instant perdu l’équilibre et me suis un moment représenté tombant sur la chaussée puis écrasé par le flux des voitures. Un moment j’ai imaginé le pire, un pire qui pouvait arriver pour peu que défaille soudainement l’un ou l’autre des petits rouages dont l’ajustement finalement miraculeux rend ordinairement harmonieux l’écoulement des instants.

Quelle vertige, quelle panique, quel abîme de toucher ainsi du doigt la fragilité des choses et de prendre conscience de l’immense confiance qu’il nous faut avoir en l’harmonie du monde pour vivre sans trembler !

Je pense qu’il ya des êtres qui, soit parce qu’ils sont dotés d’une sensibilité particulière, soit à la suite d’un choc, soit parce qu’ils ont été meurtris par des relations perverses, n’ont pas cette confiance, cette insouciance, cette inconscience, et vivent continuellement dans l’appréhension, le qui-vive, la crainte d’un dérapage des choses.

Nul repos, jamais, pour eux ; nul moment pour souffler ; nulle désinvolture ni laisser-aller.

Leur pleine conscience doit être un enfer.

Aldor Écrit par :

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