“…Il lui suffit de concevoir une joie pour percevoir le messager de cette joie…”

“Tels sont les tours d’une imagination puissante, observe Thésée dans Le songe d’une nuit d’été, il lui suffit de concevoir une joie pour percevoir le messager de cette joie”.

On ne sait pas très bien, à écouter ce propos (et à le tenir, quand on le joue) s’il est simplement moqueur ou admiratif. Je crois qu’il est l’un et l’autre : tout en reconnaissant que la joie et l’enthousiasme (ou encore la folie, l’amour et la poésie, dont il est question un peu plus tôt dans la tirade) peuvent tromper, Shakespeare croit en leur pouvoir, et probablement en leur pouvoir de susciter non pas seulement l’illusion de ce qu’on espère mais la chose elle-même – leur capacité de créer ce qui est souhaité.

C’est une autre façon de raconter cette expérience que chacun d’entre nous fait tous les jours, au moins en partie, cette histoire d’être ce qu’on veut que le monde devienne ou de foi déplaçant les montagnes.

C’est ce que disent les histoires de magie, “ces vieilles fables grotesques et ces contes de fées” dont le même Thésée se gausse, alors que, plus incrédule que le Thomas des Évangiles, il a pu, tout au long de la pièce, en constater lui-même la véracité, et de ses propres yeux.

Être heureux pour provoquer le bonheur, joyeux pour susciter la joie, calme pour que le calme s’étende et doux pour recevoir de la douceur : cette capacité à changer le monde autour de nous du simple fait de notre humeur est bien réelle ; et elle va bien au-delà de l’illusion consistant à prendre ses désirs pour la réalité. Le regard que nous jetons sur les êtres qui nous entourent, l’empathie que nous leur témoignons, les changent effectivement par l’effet d’un mimétisme psychologique qui incite les consciences autour de nous à se mouler sur notre propre attitude, à vibrer selon le même rythme, la même fréquence que nous. En témoignent aussi bien les beaux moments de communion que les terribles mouvements de panique et de désespoir.

La magie commence quand ce pouvoir que nous connaissons tous s’exerce non seulement sur nos semblables mais sur d’autres êtres animés. Mais ce n’est en fait alors qu’une demi-magie : il faut être bien sourd, bien aveugle, bien insensible aux choses et à la vie pour ne pas ressentir le lien profond qui nous lie aux autres animaux et pour ne pas comprendre que nous puissions, sans mot ni signe, partager avec eux une immensité d’émotions, échanger des intentions.

La vraie magie, celle des fées, des elfes, des enchanteurs et des sorcières, se déploie là où cette interaction déborde la communauté des esprits animaux pour toucher à la matière, aux choses inanimées que les esprits, justement, vont pouvoir animer.

Je crois aussi à cette magie et qu’elle n’en est pas une. Je crois que l’idée que nous nous faisons des choses et des lieux finit par les modifier, par en changer la nature, car elle modifie notre comportement à leur égard : les sommets respectés deviennent respectables, les objets muséographiés deviennent des oeuvres d’art, et la forêt de la Belle au bois dormant finit par s’endormir vraiment dans le sommeil des lianes et des ronces.

Quant aux lieux désacralisés, réduits à leur utilité, à leur rôle de ressource ou de poubelle, ils finissent par devenir l’idée qu’on s’en fait. C’est pourquoi il ne suffira pas, pour sauver le monde, de sobriété et de respect ; il y faudra aussi du réenchantement et de la poésie, de la magie et du sacré.


Et, en illustration musicale, Water shows the hidden heart d’Enya.

Aldor Écrit par :

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