Les superstructures et la crise écologique

La Tour Eiffel lors du feu d’artifice du 14 juillet 2022

C’est un trait comportemental que nous partageons avec d’autres espèces animales : nous accordons plus d’importance, d’intérêt et de valeur aux superstructures qu’aux éléments de base ; au superflu qu’à ce qui est nécessaire. De là une des difficultés à affronter la crise écologique : nous avons en effet beaucoup plus de mal à nous mobiliser et à ne serait-ce que dépenser de l’argent pour l’air, l’eau ou les autres ressources indispensables que pour un concert, un téléphone ou un beau vêtement.

Il n’y a pas à cela que de mauvaises raisons : manque de sérieux ou dramatique attirance pour le facile et le superficiel ; il y a des raisons solides et parfaitement fondées : c’est des interactions avec nos semblables qu’est né notre gros cerveau et nous avons progressivement appris que c’était de ces interactions que dépendaient pour l’essentiel nos joies, nos peines, notre existence et les chances de survie de notre descendance. Nous mourons plus souvent des guerres ou d’une répartition inéquitable des biens essentiels que de leur absence absolue, souffrons plus souvent de la mainmise de certains sur les ressources que de leur pénurie : bien gérer les relations avec nos semblables est donc, dans les faits, beaucoup plus important que gérer l’air, l’eau ou la nourriture, toutes choses qui, historiquement, manquent rarement complètement.

C’est donc aux superstructures que nous nous intéressons en priorité, et à juste titre, n’accordant finalement pas beaucoup d’importance au strict nécessaire. Rémy m’avait ainsi fait remarquer il y a quelques années que nous étions prêts à dépenser beaucoup d’argent pour un voyage au Pérou mais jugions scandaleux de devoir sortir la même somme de notre poche pour payer le médecin qui nous opère et nous sauve la vie. Et cette inversion nous est devenue naturelle.

Cet intérêt privilégié pour la superstructure est d’ailleurs à la source du succès planétaire de notre espèce : c’est bien parce nous croyons en les autres et en notre capacité collective (et non individuelle) de trouver des solutions que nous avons pu instaurer une division du travail, laisser la défense aux militaires, la production de nourriture aux chasseuses, cueilleurs, agricultrices et éleveurs, permettant à la science, aux arts et à tout ce qui relève de la superstructure de se développer de facon phénoménale, engendrant et captant une part croissante de notre activité, de notre intérêt, de notre richesse.

C’est de cette même primauté accordée à nos propres créations culturelles et sociales que découlent certaines des qualités dont nous sommes les plus fiers : l’altruisme, le courage, le dévouement sont des manifestations de la préférence que nous accordons au groupe sur notre propre survie, aux valeurs sur ce qui nous est strictement nécessaire.

C’est une des raisons pour lesquelles la crise écologique demeure un impensé. Ce n’est pas que nous ne croyions pas à ces rapports du GIEC qui s’accumulent sur nos bureaux mais l’habitude s’est tellement ancrée dans nos gènes de considérer que, sauf cas rarissimes, la cause véritable des problèmes que nous affrontons était chez les hommes et non dans la nature que nous n’arrivons pas à nous dépêtrer de ce schéma.

Et sans doute avons-nous bien raison. Car en fait, ça n’est pas la nature qui est en crise ; c’est nous : notre façon d’agir, le regard dédaigneux que nous jetons sur ce qui n’est pas nous ; nos relations viciées avec nos semblables et les autres. Ce que nous nommons crise écologique n’a rien d’une crise de l’environnement ; c’est, comme toujours, un problème de relations humaines, un problème de superstructures.


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