Le contentement, la joie, l’hubris

On peut, lorsqu’on est content, se contenter de son contentement, et tomber ainsi dans la satisfaction un peu bourgeoise ; mais on peut aussi, rempli de cette énergie singulière qu’est la joie, s’arracher à l’attraction de soi-même et s’élancer vers les étoiles et vers les autres, dans ce mélange d’altruisme et de volonté de puissance qui, bien que positif, n’est jamais très loin de l’ύβρις.

Je ne crois pas trop celles et ceux qui prétendent se contenter de leur bonheur et ne le vouloir que pour eux. Il me semble que la joie, la joie vraie et spontanée, est toujours dynamique, expensive, conquérante, qu’elle est comme un trop-plein qui cherche toujours à se répandre au-dehors et à s’étendre.

La joie qu’on ressent parfois à être fort, belle, malin, intelligente, subtil ; même la joie en forme de bien-être qui découle d’un travail bien fait ; la joie souveraine et magnifique qui, dans les premiers temps, distend le coeur des amoureux ; toutes ces joies sont des contentements : contentements du monde, des autres mais aussi de soi-même ; vanité qui, de s’admirer elle-même dans le miroir, ne se contente pas.

La joie aime être vue et célébrée ; la joie veut être vue et célébrée. Elle a besoin de s’exprimer comme la chaleur d’un corps a besoin de se dissiper pour ne pas étouffer son hôte. C’est pour cela que le chant, la danse et la fête ont été inventées, pour permettre à la joie de s’écouler, de se diffuser, de circuler ; pour partager le trop-plein de joie et d’énergie.

Je ne sais pas à quel moment ce débordement d’énergie se mue ou se révèle en volonté de puissance. Je crois que les deux sont intimement, intrinsèquement liés. Il y a, dans toute joie, serait-ce pour les meilleures raisons du monde, serait-ce pour les motifs les plus altruistes, un désir de s’imposer, d’entraîner les autres dans sa ronde. La fête jamais n’est discrète ou précautionneuse ; elle est toujours débordante et enthousiaste.

Il n’y a pas si loin, ensuite, de cette joie débordante à la volonté de l’imposer, de répandre cette énergie que nous sentons en nous, cette puissance dont nous sommes habités. Il y a certainement toujours, chez les mages, les tyrans, les gourous et les chefs de bande, le choix initial de répandre cette joie qui nous a été donnée. La volonté de puissance est toujours d’abord un désir de la partager.

L’hubris et le dérangement commencent probablement là où, à la volonté assumée, se substitue l’illusion du devoir ; quand, au souhait, se substitue la croyance en la mission : “Je dois aller voir le Cap Nord” ou “Il faut que je le fasse”. Quelque chose alors apparaît qui n’a plus la tonalité naïve et lumineuse de la joie qui déborde mais la couleur sombre du devoir assumé.

C’est là que l’hubris apparaît, quand à la vanité se substitue l’orgueil, et à la joie la sombre et noire humilité.

Aldor Écrit par :

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