Le rythme dansant des sentiers

Fontainebleau, sentier Denecourt-Colinet 4-5

J’aime les chemins, dont le tracé et l’apparence donnent le sentiment d’une entente harmonieuse entre les hommes et le reste de la nature ; mais me promenant dimanche sur les sentiers tracés en forêt de Fontainebleau par Denecourt puis Colinet, je me disais que les sentiers, plus sylvains et sauvages, s’accordent néanmoins mieux au mouvement de la pensée, à son rythme dansant et fantasque.

C’est leur allure serpentine qui me fait dire cela : les sentiers sont à courte vue ; après quelques mètres, ils disparaissent dans les fougères, les troncs, les rochers, et il faut avancer, avancer toujours pour en voir la suite. Le sentier ne se dévoile jamais entièrement comme le font la route et souvent les chemins, hérités des voies romaines et de leur rectitude ; il buissonne, tergiverse, et ne se livre que progressivement, au fur et à mesure.

Et puis il y a le rythme des pas : sur les chemins, on va gaillardement tel un pèlerin tendu vers Compostelle ; le sentier, qui inlassablement tournoie, qui inlassablement hésite, est rétif à ces pas cadencés : le corps y avance précautionneusement, d’une marche inégale, semblable au vol du papillon.

J’avais, le matin même, lu les premières pages (les meilleures, à mon goût) de La nature de Ralph Waldo Emerson, cadeau destiné à l’Aimée. Était-ce l’effet de cette lecture ? Sur ces pistes étroites et tortueuses, parce qu’elles étaient étroites et tortueuses, je me sentais, à chacun de mes pas, en résonnance et sympathie avec le monde : c’est en quittant les chemins tracés au cordeau, en quittant l’univers conçu par la raison et la mathématique, que je me retrouvais enfin chez moi.

Il y a, dans le balancement de la marche, une invitation constante à sentir, à penser, et parfois à rêver. Mais cette invitation diffère selon la marche, selon qu’on soit sur une route, un chemin ou un sentier : il y a, dans le rythme différent des pas, dans la maîtrise plus ou moins grande qu’on a de ce rythme, dans la confiance qu’il est plus ou moins nécessaire d’accorder à son corps plutôt qu’à son esprit, une variété d’états d’âme. Sur les grandes voies, l’esprit est militaire ; sur les sentiers, il danse comme un papillon.

Aldor Écrit par :

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