M. Goodhart, la règle, le bachotage et la distinction

Au début de son très intéressant opuscule : Antidote au culte de la performance, Olivier Hamant évoque la loi de Goodhart : “quand une mesure devient une cible, elle cesse d’être fiable”.

Quiconque a travaillé dans une entreprise, s’est astreint à apprendre une technique ou un sport, ou a eu des élèves, des enfants, des apprenties, des collègues à former ou à éduquer, sait à quel point cette loi se vérifie : pour faciliter l’apprentissage, l’acquisition du bon geste, on donne des objectifs, on fixe des règles, on établit des mesures visant à suivre les progrès, on lance des audits pour vérifier les acquis ; et dans bien des cas, le système se pervertit car ce qui avait été conçu comme une aide, un truc, une simple mesure, devient un objectif en soi, et on cherche plus à cocher les cases de l’audit ou à respecter les règles établies qu’à atteindre vraiment le but initialement fixé ; on est tombé dans un bachotage stérile.

C’est ce qu’illustrent les grèves du zèle durant lesquelles la lettre des règles est respectée mais leur esprit oublié, ce qui conduit à la catastrophe.

C’est aussi le paradoxe de la distinction, dont parlait Bourdieu : la distinction ne consiste pas à connaître les règles du savoir-vivre et les codes, mais à les connaître et à les maîtriser assez pour savoir et pouvoir s’en affranchir. C’est ce qui la rend si élitiste et si difficile d’accès : il ne s’agit en effet  pas d’appliquer les règles mais de jouer avec elles, et ceux qui se contentent de faire ce qu’on leur dit jamais ne passeront la porte du paradis.

Il faut pouvoir s’affranchir des règles mais on ne peut le faire bien qu’à condition de les connaître sur le bout des doigts. Ceux qui voudraient prendre un raccourci et ne pas apprendre les règles se retrouveront vite dans la même impasse que ceux qui ne savent pas les dépasser. Il s’agit, et c’est un des grands enjeux de l’éducation,  d’apprendre à écouter le maître ou la maîtresse pour pouvoir ensuite apprendre à le contester ; apprendre à écouter pour pouvoir ensuite contredire. C’est la leçon de discipline qui se dégage également de l’éducation des moines bouddhistes, et qu’on trouve caricaturalement exposée dans les films Karaté kid, si aimés par Katia (Bonjour la Saint-Valentin !).

Au bout du compte (et on en revient ainsi au propos d’Olivier Hamant), il ne faut pas chercher à optimiser, que ce soit dans un sens ou un autre, car en optimisant, en recherchant la performance, on perd la substance, l’esprit, la maîtrise, qui permet seule de se détacher, aussi bien des règles que de l’absence de règles, et qui ne s’acquiert que dans la durée. Ou plutôt (ce qui est le contraire, mais c’est ainsi), il faut optimiser, suivre très scrupuleusement les règles et les consignes mais en se souvenant toujours qu’elles ne sont qu’un moyen, et non l’objectif à atteindre.

Il faut faire preuve de discernement, savoir concilier serieux et dilettantisme, être discipliné, mais avec anarchie.

Aldor Écrit par :

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