Trans

Hermaphrodite endormi © 2011 Musée du Louvre / Thierry Ollivier

Dans le deuxième tome du Deuxième sexe, Beauvoir évoque longuement la puberté, ce moment où, dans le corps jusqu’alors asexué, la féminité éclot et se fait envahissante.

Le tableau qu’elle dresse de cette transformation est tellement noir (les seins qui sont “un fardeau”, le corps qui est “hystérique “), qu’on imagine que si l’autrice avait été adolescente de nos jours et parmi nous, une dysphorie de genre lui aurait peut-être été diagnostiquée, la conduisant, ensuite, à opérer une transition. Et c’eût été bien dommage.

Simone de Beauvoir, en effet, fut une femme. Et qu’elle n’ait pas présenté tous les traits habituellement prêtés à la féminité, qu’elle ait souffert, même, de certains attributs de cette féminité, ne change rien à l’affaire, pas plus que la douceur et la sensibilité d’un Rainer Maria Rilke ne mettent en cause sa masculinité. C’est probablement même dans son inconfort, son rejet partiel de la féminité qu’elle trouva l’inspiration et la force d’écrire ce monument du féminisme qu’est Le deuxième sexe. Mais c’est bien ancrée dans ce deuxième sexe, en tant que femme qu’elle jeta son regard novateur, singulier et critique sur la féminité, la condition féminine et la condition faite aux femmes. Jamais, probablement, ne lui serait venue l’idée de prétendre que femme, elle ne l’était pas. La femme que, selon la formule célèbre, on ne naît pas mais devient, ce n’est ni la femme en tant que sexe, ni la femme en tant que genre mais seulement “la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine”, la figure particulière qu’elle revêt à un moment donné et qui est propre à une civilisation, à un lieu, à un temps, à une condition historique donnée.

C’est à faire éclater cette figure pour libérer les femmes du carcan dans lequel elles sont, notamment en cet Occident du XXème siècle, enfermées, que Beauvoir travaille ; mais son propos n’est pas de dissocier ou de prétendre que pourraient être dissociés le genre et le sexe. D’ailleurs, comme le soulignent Caroline Eliacheff et Céline Masson dans leur livre La fabrique de l’enfant-transgenre, il est “paradoxal d’affirmer que les organes sexuels ne définissent pas le genre et, a contrario, de vouloir les rendre adéquats au genre choisi, souscrivant ainsi à l’idée d’une représentation anatomique du genre”. Beauvoir ne combat pas pour que les femmes se libèrent de leur sexe mais pour élargir l’acception de la féminité que la société patriarcale a réduit à la portion congrue.

Il existe certainement des cas dans lesquels sexe et genre sont dramatiquement désalignés. Il est heureux que pour ces cas là, il soit désormais possible de transitionner. Mais le vrai combat est inverse : non pas réduire la féminité et la masculinité à leurs caricatures mais faire qu’on puisse vivre pleinement son état de femme et d’homme sans coller aux stéréotypes, en assumant sa différence, ses côtés masculins aussi bien que féminins.

Aldor Écrit par :

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