Rondinara

Poissons rouges nageant dans le lavoir de L’Hospitalet du Larzac

Était-ce la brise, légère et un peu chaude qui soufflait à ce moment là ? La caresse du soleil sur la peau ? L’odeur des pins ou peut-être encore le tintement, le clapotis des feuilles agitées par le vent ? Mais à quelques kilomètres de L’Hospitalet du Larzac, dans la fraîcheur de l’église de laquelle je m’étais un moment reposé, tandis que je grimpais vers l’ermitage de Saint-Amans, je fus brusquement envahi par le souvenir de ce matin d’été, il y a très longtemps, où je m’étais réveillé, sur la jolie plage de Rondinara, en Corse, m’extirpant du sac de couchage où dormait encore la jeune fille avec laquelle j’avais passé la nuit.

La force, la soudaineté, l’ephémérité (je découvre que ce mot existe), l’inexplicabilité de ce surgissement inopiné du souvenir en font un moment de grâce ; elles me laisseront toujours pantois.

Humant l’air, donc, je me retrouvais (retrouvai, plutôt) quelques dizaines d’années en arrière, dans des circonstances qui n’avaient rien à voir, et dont pourtant l’essentiel, l’essence des parfumeurs, rétive à toute description, en un instant revint aussitôt disparu.

“Pourquoi, Bernard, nous racontes-tu cela ? Qu’en avons-nous à faire, de tes bonheurs adolescents ? Crois-tu que cela nous intéresse ?” – Non, bien sûr ; mais du jaillissement du souvenir, oui.

Le matin, j’avais quitté la Couvertoirade, où je logeais chez un poète avec lequel j’avais bavardé poésie. Et je me disais que s’il y a une chose qui peut sauver les poètes et les littérateurs de leur vanité, de cette insondable vanité qui m’accompagne où que me mènent mes pas ; s’il y a une chose qui puisse finalement les justifier, c’est leur capacité à partager, à rendre sensible et perceptible l’universalité des émotions humaines, des émotions animales, l’unité, la profonde unité du vivant.

Où que l’on soit, dans quelque pays qu’on se trouve, nous partageons la même substance, les mêmes angoisses, les mêmes plaisirs, les mêmes joies. Nous le savons toutes et tous mais ce savoir est vain. Il faut une peintre, un écrivain, une musicienne, un sculpteur,  un danseur, une actrice pour nous le faire sentir, pour que ce savoir, débordant de la conscience où il se meurt, puisse nous toucher enfin.

Si mes mots, à quelques-uns, peut-être à quelques-unes, rappellent quelque chose, si à ces souvenirs un souvenir se noue, se noue de plus profond, de plus puissant que nos inimitiés, tout n’aura pas été vain dans le rappel de ce matin d’été, de la saveur du sel sur les lèvres baisées.

Aldor Écrit par :

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