Si mes mots, à quelques-uns, peut-être à quelques-unes, rappellent quelque chose, si à ces souvenirs un souvenir se noue, se noue de plus profond, de plus puissant que nos inimitiés, tout n’aura pas été vain dans le rappel de ce matin d’été, de la saveur du sel sur les lèvres baisées.
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Peut-être notre génie propre, notre capacité à représenter le monde, à le penser, à le rationaliser (et notre propension à l’instrumentaliser qui l’accompagne) découle-t-elle de cette angoisse, de cette panique première face aux choses, de ce renfermement initial de l’esprit sur lui-même pour éviter qu’il ne soit débordé. Et de là les dessins, les mots, les sciences et les arts.
Je me dis parfois, écoutant les cigales et les oiseaux, les saudades et les comédies musicales, que la voix et le chant sont, à nos émotions, ce que les poils sont à la chaleur corporelle. Et de même que ceux-ci permettent aux humains, malgré leur apparence fragile, d’être de redoutables prédateurs car capables d’épuiser une proie en la poursuivant sur des kilomètres, la voix nous permet de dissiper les émotions trop fortes qui, sans le chant, finiraient par nous étouffer comme leur chaleur étouffe les animaux chassés à courre.
Je me demande pourquoi beaucoup, dans la rue, qui n’ont pourtant pas de blessure saignante, montrent ce visage soucieux ou renfrogné. Ne savent-elles pas capter le plaisir infini des choses les plus simples ou craignent-ils seulement d’être considérés comme superficiels, égoïstes ou inconscients parce qu’ils ne pleurent pas, à chaque instant, sur l’immensité des malheurs du monde ?
On pourrait penser que, depuis les millénaires que nous gravons, peignons, écrivons, composons, construisons, tout a désormais été dit, pensé, représenté, chanté, construit ; que nous ne pouvons que répéter ou singer ce que d’autres, avant nous, ont conçu et créé. Mais il n’en est rien : notre inventivité, notre capacité à créer du neuf et du beau est intacte, sinon même étendue par l’inspiration qui naît de la contemplation, de la confrontation aux œuvres passées ; loin de s’en épuiser, notre imagination s’accroît de tout ce qui est créé.
Les femmes incarnaient la grâce et la pureté. Que ces nymphes et ces fées aient des poils aux jambes brisait ma compréhension du monde, et avec elle la cage dorée dans laquelle j’avais fantasmatiquement enfermé ces belles (mais finalement pas si parfaites) créatures
On peut, comme les constructeurs et les sculpteurs des cathédrales, comme la foule des artistes anonymes, considérer que l’ombre vaut mieux parce qu’elle révèle l’œuvre et qu’il y a plus de dignité, d’honneur et de satisfaction dans l’humilité que dans la course au renom. Peut-être le désir de gloire n’est-il finalement qu’un travers masculin.
L’acteur est celui qui nous permet de découvrir la vérité des situations, des comportements, des choses qu’on croise à chaque instant mais qu’on ne voit pas, ou qu’on ne voit plus et que lui, par son jeu, dévoile.
La capacité de l’homme à créer de la beauté, à mettre au monde des œuvres qui l’embellissent est un don divin.
Quelle pitié que nous en mésusions ainsi pour salir, enlaidir, tuer. Quelle tristesse que nous ravagions ce que nous avions pouvoir d’embellir.