Je me promenais ce week-end dans la rue (après être allé voter, évidemment !), dans les rues enfoulées de Paris. Et, une fois de plus, je m’émerveillais de la capacité que nous avons à la fois de distinguer les différents visages que nous croisons, et d’arborer des traits, des chevelures, des maquillages, des tatouages, des vêtements qui facilitent cette distinction. Distinguer nos semblables les uns des autres et nous différencier nous mêmes des autres membres de notre espèce, ces deux talents qui se renforcent mutuellement, sont portés, chez les êtres humains, à un très haut degré.
Je ne sais pas ce qu’il en est des zèbres, des fourmis ou des flamants roses ; je présume que certains au moins des autres animaux vivant comme nous en grands troupeaux, ont su développer, eux aussi, des compétences remarquables en matière d’identification de leurs semblables. J’ai pourtant le sentiment que la capacité des êtres humains à distinguer et à se différencier est supérieure, parce qu’elle est intimement liée à notre diversité, que celle-ci produit et résulte tout à la fois de notre formidable capacité d’adaptation, cette capacité qui nous a permis, seuls parmi tous les animaux, de nous répandre sur toute la planète, de l’équateur aux pôles et de la Mer morte au Népal. Nous sommes cette espèce invasive qui se diversifie pour pouvoir être partout, cet animal unique dont la caractéristique fondamentale est la diversité.
Tous les animaux évoluent mais nous nous diversifions quant à nous à une vitesse incroyable, l’évolution génétique se doublant d’une évolution culturelle qui fait de chacun de nous un monde entier. Et c’est cela, l’humanité : cet agrégat bariolé d’individus fortement différenciés.
Je pense (sans en rien savoir, évidemment, je ne connais rien à ces matières) ; je pense que cet effort continuel d’adaptation aux milieux et aux circonstances qui, plus peut-être encore que notre intelligence, est la cause de notre survie, de notre réussite en tant qu’espèce planétaire ; je pense que cet effort exige une énergie, une mobilisation fantastiques de nos sens, de nos neurones, de notre attention, que nous le sentons au fond de nous et que c’est la raison pour laquelle nous accordons une immense importance à ces signes d’adaptation et de différenciation.
Or il y a une règle générale du monde qu’on désigne parfois sous le nom de baisse tendancielle du taux de profit : c’est la malédiction qui fait que, plus on approfondit un processus, plus il devient coûteux en ressources : il est plus facile de distinguer une pieuvre d’un colibri qu’un colibri d’un moineau et un colibri d’un moineau qu’une personne d’une autre personne. Distinguer deux personnes est beaucoup plus coûteux et c’est pourquoi, paradoxalement et compréhensiblement, nous y attachons beaucoup plus d’importance.
Et c’est pourquoi, si étrangement, nous survalorisation toujours le peu qui nous distingue par rapport au tout, à l’immense tout qui nous réunit.
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