Le bien n’est pas le contraire du mal

 

 

Simone Weil, dans La pesanteur et la grâce, fait observer que le bien n’est pas le contraire du mal et que, le plus souvent, le contraire du mal est quelque qui a plus à voir avec le mal qu’il prétend combattre qu’avec le bien qu’il prétend soutenir.

S’agissant des choses simples, la vérité de cette réflexion éclate quand on pense à l’éducation, à la pédagogie, à la façon dont on apprend les choses : on commence, à chaque fois, ou presque à chaque fois, à commettre des fautes, qu’on corrige à l’exercice suivant mais on se rend vite compte qu’il ne suffit pas de corriger ses fautes pour faire bien. Il ne suffit pas de ne pas faire mal pour faire bien et il faut des années et des années, des efforts et des efforts pour que, de corrections en corrections, de fautes en fautes, on apprenne progressivement à passer à autre chose qui, plus que le pas mal fait est le bien fait.

Il en va de même dans la vie professionnelle et dans la vie de tous les jours : il ne suffit pas de corriger les fautes qu’on commet ; il ne suffit pas – longue expérience avec Katia ! – de corriger les défauts qui nous ont été à juste titre signalés pour pouvoir revenir, la bouche en coeur, réclamer la sorte de bon point qu’on croit enfantinement – infantilement ? – dû à notre obéissance. Car le défaut même une fois véritablement corrigé (et c’est souvent bien plus long qu’on ne le pensait), demeure tout le reste, et ce vide qui bée entre la correction du mal et le bien.

Dans l’ordre civique et politique, Simone Weil souligne que ce n’est pas parce que voler est mal que le respect contraire et bourgeois de la propriété serait un bien. Le respect de la propriété est de même niveau, du même ordre que le vol puisqu’il est son contraire ; il n’a donc rien à voir avec le bien. De la même façon, mentir est mal mais la sincérité prise comme simple interdiction de mentir, comme simple absence de mensonge, n’est que le symétrique du mal et donc ne relève pas du bien qui exige autre chose, le passage à une autre dimension.

C’est encore plus évident dès lors qu’on aborde les questions éthiques et importantes : il ne suffit évidemment pas de ne pas faire le mal, ni même de faire le contraire du mal pour faire le bien : le bien est d’une autre nature que le mal ; il implique une élévation, un changement de dimension où paraissent parfois se réconcilier les contraires. Ainsi s’explique le scintillement, l’ambivalence, la vibration qui apparaît dans les choses vraiment essentielles : le vrai bien est souvent d’une nature telle que les oppositions ordinaires y sont dépassées ; ce qui paraissait contradictoire s’y réconcilie. Et c’est pourquoi, au regard des classifications ordinaires, il nous est si difficile d’en parler : le vrai bien, en matière de propriété, est sans doute indifférent aux catégories juridiques de la propriété et du vol ; il ne se situe pas sur le même plan. Et le détachement que prônent les sages reste un mystère complet si l’on cherche à l’analyser en termes de dépendance et d’indifférence. Pour comprendre vraiment, il faut passer à un autre regard, aller au dessus, là où se confondent et se tressent, dansent ensemble, ce qui paraissait s’opposer.

Il y a trop longtemps que je l’ai lu pour me rappeler si c’était de cela que parlait Nietzsche dans Par delà le bien et le mal. Mais c’est un peu l’idée à laquelle on aboutit : le vrai bien, le bien ontologique et essentiel, se situe au-delà des catégories ordinaires du bien et du mal, et qui ne conçoit le bien que comme le contraire du mal n’arrivera jamais à aller au-delà de celui-ci. Le vrai bien, en effet, est tout simplement d’une autre nature.

Aldor Écrit par :

9 Comments

  1. Voilà une réflexion que je trouve particulièrement juste et perspicace. Saisir ce qui est bien nécessite effectivement de sortir de l’idée qu’on fera bien si l’on ne fait pas mal. Pour mon rôle auprès des élèves, j’essaierai de m’en souvenir et de les accompagner mieux vers ce qui est bien, et non vers vers ce qui n’est pas mal. Merci, Aldor!

    • 29 août 2017
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      Merci, Clémentine. C’est très gentil, ce que tu me dis là. Je n’ai fait que comprendre ce que quelqu’un d’autre avait avant moi pensé mais je crois, effectivement, que ça peut aider à mieux faire.

      Bonne soirée !

  2. Je laisse ici une petite pierre pour ne pas perdre ce chemin lumineux que tu viens de m’ouvrir 🙂

    • 29 août 2017
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      Je ne suis pas l’inventeur, Joséphine, mais c’est effectivement un chemin lumineux. J’en suis encore étonné.

  3. 29 août 2017
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    🙂 Je sentais qu’on en viendrait là. Ce décrochement qui est comme un changement de paradigme, il me semble qu’on peut presque le sentir physiquement. Quel plaisir de te lire.

    • 29 août 2017
      Reply

      Frog, je suis sûr que, comme Katia, tu savais déjà tout cela.

      Tu sentais qu’on en viendrait là ? C’est si gentil de me dire cela. Mais je suis d’accord : par petits pas inégaux et souvent lents, nous progressons. Et aujourd’hui, c’est une jolie redécouverte.

      Bonne soirée dans ton jardin anglais.

      • 29 août 2017
        Reply

        Oh je me rends compte que mon commentaire est maladroit et peut sembler condescendant, comme si je savais quoi que ce soit et que j’étais capable d’une quelconque vue surplombante ! Je ne sais rien à proprement parler, je suis d’ailleurs peu capable de penser vraiment, et ne fais le plus souvent que ressentir. Je ne savais évidemment pas où tes réflexions te conduiraient. Il serait plus exact de dire qu’en te lisant, je me suis dit qu’un chemin se révélait soudain, comme le dit si bien Joséphine, allant d’une de tes improvisations à l’autre. L’improvisation d’aujourd’hui diffuse une lumière particulière, un éclat révélateur. Ce dont tu parles, je l’ai souvent senti, mais mon amie Jehanne saurait mieux que moi partager cette expérience. Existe-t-il des mots “conceptuels” pour ces contradictions qui n’en sont pas, cette coexistence de différentes strates que tu décris souvent et si bien ?

        • 29 août 2017
          Reply

          Oh ! Quyên, je n’ai pas un seul instant compris ton commentaire comme condescendant. Mais tu sens évidemment ces choses là, comme l’aimée. C’est ce que tu voulais dire et c’est bien ainsi que je l’ai compris. Et Joséphine a su parfaitement le dire.

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