Elle devait sentir cela, Simone de Beauvoir, quand elle croisait Simone Weil : qu’elle était certes un peu ridicule, un peu pénible, cette jeune femme, avec cette façon de prendre tout à coeur et de verser des larmes qui ne servaient à rien ; mais aussi que sans des êtres comme cela, sans des coeurs capables de battre à travers l’univers entier, le monde était perdu.
Étiquette : Simone Weil
L’impatience a aussi une vertu : elle oblige à se lancer, à se lancer dans l’imperfection, à se lancer dans l’incertitude. Elle est l’autre nom de la foi qui nous permet de croire, d’agir, d’aimer, sans être sûrs de ne pas nous tromper – sans être sûrs de rien. Elle est ce qui nous donne le courage de nous engager.
D’un côté la vie, avec son flux continu, ses oublis, son infidélité, ses trahisons, sa schizophrénie quotidienne ; de l’autre le pur, le vrai, l’authentique, l’incorruptible, mais qui au bout du compte, aux compromissions de la vie, préfère la mort.
Le clerc qui ne trahit pas est celui qui accepte de trahir son camp si la vérité le demande. C’est le Georges Bernanos des Grands cimetières sous la lune ; c’est la Simone Weil qui, partie elle-même combattre dans les rangs des Brigades internationales, écrit à ce même Bernanos tout le dégoût que lui inspire le sang inutilement versé.
Telle est la nature de la clarté du jour, et de cet autre delight qu’est le bonheur : il faut être prêt à la nuit pour que la lumière renaisse ; être prêt à tout abandonner et à ne rien retenir pour que le plaisir advienne ; être prêt à tout perdre pour que l’amour vive.
Notre capacité à être heureux dans le malheur du monde fache les hypocrites et provoque la colère des totalitarismes religieux et laïques qui voudraient que le monde forme un bloc, mais elle est profondément ancrée en nous et se confond avec l’étincelle de la vie.
C’est ainsi que les fleurs disparaissent, et avec elles l’épaisseur du monde qui se réduit au plan unique de la carte si ce n’est à la seule ligne du chemin.