Il arrive qu’on fasse des choses de façon gratuite. mais très souvent, on attend quelque chose de ce qu’on fait, et cela est particulièrement net dans les blogs et les réseaux sociaux.
On peut penser n’écrire ou ne parler que poussé par un désir ou un besoin d’expression. Mais il me semble, allant plus loin et comprenant enfin (peut-être) ce que Katia depuis longtemps me dit, que plus encore que poussé par ce besoin, on est aspiré par l’attente dans laquelle on est des commentaires et des appréciations des autres. C’est cette attente, peut-être, qui est notre véritable moteur, agissant comme la dépression que crée la voile du bateau, qui aspire le voilier plus encore que le vent ne le pousse.
C’est pour cette raison que certains (et moi-même par période) suspendent les commentaires et les appréciations : pour échapper à cette dépendance vis-à-vis des réactions qui, bien que paraissant seconde, peut, dans bien des cas, être la véritable raison d’être de notre expression. Non plus parler parce que nous avons des choses à dire mais parler pour le plaisir d’être entendu, ce qui est en fait une façon de s’enfermer dans une sorte d’accoutumance malsaine, d’attente continue et désespérée de ce que dira l’autre…
Un lien très clair existe dans mon esprit entre cette question et l’explication de la prédestination que donnait l’autre jour le Chat du pasteur : la prédestination est, pour l’homme affrontant la vie, une façon de suspendre ou même de fermer les commentaires. Dans un monde régi par la prédestination, ce que nous faisons n’a aucune conséquence sur notre salut et quoi que nous fassions, les choses sont déjà écrites. Il devient donc inutile d’essayer de se concilier les bonnes grâces de Dieu ou de ses saints ; nous sommes totalement libres de notre action.
On décèle, dans ce renversement de perspective : la prédestination, qui enchaîne l’homme dans un destin, est justement ce qui le libère, la vibration dialectique et paradoxale des choses vraiment importantes. La prédestination libère, comme l’arrêt des commentaires libère, parce qu’elle force au détachement, qui est l’autre nom de la liberté.
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Il y a quelque chose, je crois, qui me met un peu mal à l’aise dans cet “examen de conscience” que tu proposes ici de l’acte d’écrire, qui se ferait en fonction d’un but visant à être commenté, reconnu par les autres. Comme si quoique nous fassions, nous soyions entachés d’une intention coupable, à savoir ici une forme de vanité. C’est du moins la façon dont je te lis, ne m’en tiens pas rigueur si je me trompe.
“Etre dans l’attente” de l’autre, dans la dépendance… est – tu le soulignes à juste titre- la pierre d’achoppement de tant de relations dans celles que nous tissons, faute d’avoir appris à exister d’abord par et pour nous-mêmes. Sans comprendre que si nous existions d’abord pour nous-mêmes, sans attendre que l’Autre vienne combler un “manque à exister”, alors nous serions peut-être véritablement libres. Et libres, alors de l’aimer sans attendre de réciprocité, qu’elle se manifeste sous la forme d’un commentaire ou d’autre chose. Je crois pour ma part, en réfléchissant à ton billet qui me fait penser à ce qui me pousse à écrire ici, que si je trouve touchants, émouvants, salutairement critiques… les commentaires, je ne suis pas en recherche de validation, ou finalement d’être entendue (quoique je le dise souvent…) mais bien plus de conversation. D’entendre ce que l’Autre à a dire sur un sujet, tout autant du moins que d’être entendue dans ce que j’ai à dire.
Pour t’illustrer ce que je ressens, j’ai souvent une sensation de vague malaise quand je lis une appréciation positive ou flatteuse, comme si ce n’était pas le “sujet”, comme s’il y a avait une forme d’illégitimité à les recevoir. (La sensation est toujours la même à chaque fois, en dépit du fait que ce blog existe depuis presque trois ans maintenant…) Bien sûr, cela me touche et cela me renvoie des choses que je ne verrais pas de moi sans ces retours, mais ce qui m’émeut n’est pas réflexif. C’est de voir que cela touche quelque chose chez le lecteur, comment et pourquoi il s’en empare, et dans le fond cela n’a plus grand-chose à voir avec moi mais bien avec les réflexions que le sujet que j’aborde suscite en lui.
Pourquoi ne ferait-on pas les choses sincèrement, de manière humble et détachée… a priori ? A cet égard et de la même manière, le malaise pour moi reste entier quant au fait de publier, d’être éditée. Je n’écris pas pour être publiée, cela ne m’intéresse pas, fondamentalement. Mais un jour, il m’a été répondu que permettre à plus de gens de lire ce qu’on avait à dire pouvait être un acte altruiste. Dans le sens où nos écrits peuvent aider, consoler, soigner, faire rire, émouvoir… c’est la beauté de l’Ecrit, je crois. Et c’est aussi ce que suscitent pour moi tes billets, sans que je présuppose que tu le fasses pour une question d’ego. Ce n’est pas si grave si tu as plaisir à être entendu ! Tu es à mon sens suffisamment humble dans tes écrits pour qu’on ne puisse te taxer d’accoutumance malsaine (quel adjectif…) à l’expression de notre reconnaissance. Mot qui -au-delà de sa signification de “reconnaître”- comprend aussi et pas moins celle de… gratitude. Oui, merci de ce que tu écris. Je serais bien triste de ne plus pouvoir te faire de commentaires ; quant ils sont fermés, cela exclut de facto l’autre et la conversation se ferme aussi…
Bonjour Esther,
C’est toujours un plaisir de voir que tu lis vraiment les choses…
Jy repondrais plus longuement plus tard.
Je suis comme toi, je crois. Par moments certainement. Mais je sens aussi que pas toujours ou pas seulement. Et que, en ce domaine, l’intention et la pureté de l’intention comptent.
Pour dérouler la métaphore de la prédestination : il est bien de faire le bien ; il n’y a rien de mal à vouloir aller au paradis ; mais si on fait le bien pour aller au paradis, c’est pas terrible. Ça vaut mieux que faire le mal ; ça aidera le monde, mais ça n’est pas le bon moteur…
C’est intéressant cette vision de la prédestination comme voie de liberté, je la concevais comme tout à fait opposée : nous enfermant dans une fatalité, dans un destin que nous serions impuissants à changer … Mais, effectivement, si le moindre de nos actes a déjà été prévu par la destinée, ça n’entrave en rien notre libre arbitre …
allez ! qu’on se rassure ! beaucoup likent et peu d’entre eux lisent ! Pour ma part, je blogue par désoeuvrement !.. je lis parfois et je commente rarement…
Mais quand tu commentes (et pour l’expérience que j’ai de tes réactions quand tu le fais ^^), tu es bien présente et engagée dans ce que tu dis 🙂 Rareté précieuse, donc.
Je n’arrive pas à m’enlever pédestrination de la tête !
Ah ! Je n’avais jamais pensé à cette contrepèterie.
Si nous écrivons et si en plus nous publions, forcément nous attendons une réaction, une suggestion de nos propos, en tout cas un avis de l’autre pour nous faire une idée de la réaction du public. Car souvent, c’est le doute en nous-même qui nous pousse à écrire et qui fait qu’on ait besoin de savoir ce que pense l’autre de nos écrits. Un écrivain n’aurait aucune motivation à écrire et publier, si en retour, il n’apprend rien de ses lecteurs, et même n’a aucune idée du nombre d’ouvrages vendus.
Bonjour Bizak, c’est justement ce dont je ne suis pas sûr. Oui : l’écrivain qui publie attend une réaction mais il pourrait écrire si publier comme on peut chanter par pur bonheur sans avoir besoin d’un public. Et peut-être est-ce quand rien n’est attendu que c’est le mieux.
Merci Esther…
J’en doute ! L’homme depuis la nuit des temps ne sait qu’attendre ! Il attend que le jour se lève, il attend sa récolte, il attend son épouse… en fait il n’a de raison de vivre que d’attendre, sans cela il mourait d’ennui. Peut-on suivre un objectif sans attendre un résultat ? Si on n’attend rien de la vie….!
La discussion glisse… Je n’ai rien votre l’attente et nous passons effectivement notre temps à attendre plein de choses : le métro, le printemps, l’amour, etc.
Ce n’est pas de cela que je parlais mais du fait qu’il y a certaines choses que nous faisons pour elles-mêmes : chantonner, lire, gribouiller ou dessiner, par exemple. Ces choses, nous les ferions même s’il n’y avait personne d’autre parce qu’elles nous donnent du plaisir en elles-mêmes. Et puis il y a d’autres choses : écrire sur un blog ou dans les réseaux sociaux ou une partie (et parfois l’essentiel ; c’est ce dont je parlais) de notre plaisir est attendu des réactions des autres.
Bonjour Aldor,
Ce que tu décris-là me fait penser à un très beau blog qui s’appelle “Traces du souffle” qui propose, presque chaque jour, des photos illustrées par un texte poétique (ou l’inverse !).
Eh bien, sur ce blog, impossible de laisser un commentaire.Seuls les boutons “j’aime”, “reblog” et des réseaux sociaux sont disponibles. Et cela ne me choque pas outre mesure. Je trouve que l’auteur de ce blog fait preuve d’une grande liberté et surtout d’une grande générosité puisqu’il est possible de partager ce qu’il ou elle publie.
Je comprends toutefois la démarche d’Esther en recherche de “conversation” avec l’autre. Je vais lui répondre…
A bientôt,
https://tracesdusouffle.com/
Bonjour Esther,
Comme je le disais à Aldor plus bas, il est des blogs qui n’autorisent pas les commentaires (“traces du souffle” par exemple). Pourtant, je ne pense pas qu’il s’agisse d’exclure l’autre. J’y vois au contraire quelque chose qui ressemble à un acte généreux (il est possible de partager les articles sur ce blog et puis, on peut toujours contacter l’auteur).
Il serait intéressant de savoir pourquoi l’auteur de ce blog ne permet pas les commentaires. Un commentaire suppose une réponse et donc, du temps ! Je connais quelqu’un qui m’a dit un jour à propos de son blog : “Surtout pas de commentaires ! ça pollue !”.
Cela dit, ta démarche est noble : converser, échanger avec l’autre. Mais cela suppose (en ce qui me concerne) de la disponibilité, de bien choisir ses mots, etc. (tu vois, le poème d’Aragon, je pense en faire quelque chose… Peut-être un commentaire ou un article… En tout cas, il est dans un coin de ma tête…).
Je crois comme toi que l’être humain est capable de faire des choses désintéressées – oui, ceux-là ne sont pas nombreux mais ils existent.
A bientôt.
Bonjour Andrea 🙂
Comme toi, je ne présuppose pas d’intention d’exclure l’autre quand un auteur le fait sur son blog, bien sûr. J’ai d’ailleurs choisi le terme “de facto”, pour souligner (peut-être pas suffisamment clairement) que si je constatais un fait, je ne critiquais pas le choix de le faire. Chacun a ses raisons pour fermer les commentaires, et il ne m’appartient pas d’en juger ! Et, même si mon attente est celle d’une conversation, cela ne m’empêche pas d’aller sur ces blogs, notamment “Traces du souffle”, que je visite régulièrement car j’en aime beaucoup le fond et la forme 🙂 Mais tu as raison de me déplacer un peu dans ma vision des choses, car il est vrai que c’est une forme de générosité de partager l’écrit. A bientôt 🙂