La joie révolutionnaire


Je parlais l’autre jour du bonheur et de la joie. Et continuant dans cette réflexion, je me rends compte que, d’un point de vue politique, bonheur et joie sont très différents, qu’ils ont des connotations presque opposées : quoi qu’ait pu en dire Saint-Just, le bonheur est conservateur et la joie révolutionnaire.

Les mouvements, États, groupements, qui prétendent instaurer une société heureuse sont souvent très conservateurs dans le sens où, ayant atteint ou prétendant atteindre cet équilibre délicat des passions et des désirs d’où naît la sérénité, leur plus grande crainte est qu’il ne soit remis en cause. Rien de plus conservateur, de plus engoncé, de plus coincé à cet égard, que ces sortes d’ashrams où l’on prétend libérer les êtres mais où marcher à plus de 2 km/h attire sur vous les regards noirs et où rire au cours du repas équivaut à un crime de lèse-majesté. Il en va de même dans ce Meilleur des mondes que décrit Aldous Huxley, dans lequel le bonheur repose sur une distribution intangible des tâches et des rôles à des castes génétiquement contrôlées. C’est la même chose dans la communauté puritaine des Sorcières de Salem, et la même chose encore dans le monde créé par le Grand inquisiteur de Dostoïevski, où le bonheur se confond avec l’hébétude et la répression féroce de tout pas de côté : le bonheur imposé ne supporte pas la trangression.

C’est dire le mauvais ménage qu’il entretient avec cette émotion intrinsèquement incontrôlable et moqueuse qu’est la joie. La joie vivace qui cascatelle sans souci du qu’en-dira-t-on, qui se répand avec les rires, qui vibre et empêche le bonheur de se pétrifier par esprit de sérieux.

La joie s’ajoute au bonheur mais elle le rend fluide et léger, le renouvelle sans cesse, le rend vivant. Elle est scandaleuse, carnavalesque, transgressive à tout va. Elle est l’énergie de la liberté et des révolutions.

Elle s’oppose radicalement en cela à toutes les entreprises qui, sous prétexte de faire le bonheur de l’humanité, visent à canaliser (et le plus souvent étouffer) les émotions, dénoncées comme l’origine des maux, si ce n’est l’œuvre du Malin.

Et en ces jours de réflexion sur la transition écologique et le monde d’après, il y a probablement là matière à penser : plutôt que de prétendre bâtir un monde fait pour le bonheur des hommes et leur salut, essayons de bâtir un monde joyeux.

Aldor Écrit par :

Un commentaire

  1. 25 novembre 2021
    Reply

    Je partage l’idée de la construction d’un monde joyeux. J’essaie d’y associer les enfants dans mes ateliers. Voilà pourquoi, dans mon livre, je parle d’ apprendre à cultiver la joie. Bonne journée

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