Malédiction de la beauté

Léa Seydoux, dans une publicité pour (c) Louis Vuitton

Il y a une malédiction de la beauté qui pèse sur les femmes ; mais pas seulement sur elles.

Quand elles sont belles, on leur demande de cacher leur beauté. Et de se cacher, elles, lorsqu’elles ne le sont pas.

Les orthodoxes de tout poil et de toute religion, les Tartuffes, crapauds et grenouilles de bénitier voient la beauté des femmes comme un début de détournement de conscience : la chair, faible, serait menée hors du droit chemin par la vision du charme et de la grâce, l’enchantement des sens. La lutte contre la perdition exigerait donc de couvrir, de cacher, de reléguer ce qu’on ne saurait voir sans chuter ou être envahi de pulsions irrépressibles : à l’étage les femmes !, dit la synagogue ; Pas ici !, clame la mosquée.

D’autres (et souvent les mêmes) demandent aux femmes de ne pas se montrer lorsqu’elles ne remplissent pas, ou plus, les canons de beauté : hors de ma vue, sorcières qui insultez la création ! Cachez vos défauts, vos rides, vos cheveux blancs ! N’avez-vous donc pas honte de vous donner ainsi en spectacle ?

Derrière ces exigences contradictoires adressées aux femmes, celles adressées à la beauté, qui nous fascine et nous effraie. Et derrière elles, si peu discrète, la peur atavique des choses attrayantes, du fruit défendu. Crainte de ce que, derrière l’apparence, la séduction, Mélusine, ne se cache une réalité sombre et amère, serpentine : trop belle pour être honnête, trop beau pour être vrai !

L’habit ne fait pas le moine mais nous nous savons si sensibles à l’habit que nous voudrions revêtir celui-ci d’une bure grise et rêche, pour ne pas nous laisser captiver, pour ne pas nous laisser émouvoir.

Et dans le même temps, pourtant, nous célébrons la beauté, incarnation de celle de l’âme, expression de la perfection divine : Ô la beauté des corps dansant dans un ballet, Ô beauté du visage de Marie !

De cette contradiction jamais nous ne sortons : la beauté porte en elle les affres, les vicissitudes, les tribulations de l’incarnation. Et parce que les femmes sont, chez les humains, beaucoup plus assignées à leur corps que ne le sont les hommes, elles portent sur leurs épaules l’essentiel de cette ambivalence, de cette injonction perpétuellement contradictoire : être belle mais ne pas en faire trop ; rayonner tout en restant discrète.

La conception classique de la féminité s’est construite le long de cet étroit chemin. Chemin magnifique mais impossible à suivre et qui, au-delà des femmes, illustre le destin de l’Homme, à jamais écartelé entre le ciel et la terre, le matériel et le spirituel, l’animal et le divin.

C’est en ce sens aussi que la femme est l’avenir de l’homme : en ce qu’on lui demande, et lui prête le pouvoir, d’incarner l’humain en la pointe extrême de sa magnificence, en sa déchirure essentielle.


PS : S’agissant de la mosquée, je dois corriger mon propos : les préceptes de l’Islam n’interdisent nullement l’accès des femmes aux mosquées. C’est seulement une conception misogyne du culte qui conduit certaines communautés religieuses rétrogrades à pratiquer cette exclusion.

Aldor Écrit par :

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