Monstres intimes


Ghazi, l’année dernière, jouait le rôle d’un homme perdu et détruit, ravagé par les conflits du Moyen-Orient, qui, devenu gardien d’une prison terroriste, torturait et violait ses prisonnières. Et à un moment donné, il disait l’étrange profondeur, la beauté singulière des femmes qui pleurent et crient.

Cela si fort résonna en moi que je ne peux depuis m’empêcher, croisant une femme inconnue, de l’imaginer pleurant et suppliant. Et je me dis qu’il y a, dans la pensée de ce personnage dépravé et monstrueux qu’incarnait Ghazi, quelque chose de terriblement juste et de terriblement familier.

Il est étrange, pour le Docteur Jekyll, de se retrouver confronté, par la vertu du théâtre, à son propre Mister Hyde, à cette boule de violence et de mal qui, aussi gentil et policé soit-on, gît au fond de soi. Étrange, troublant et salutaire : on ne voit plus les choses de la même façon, ensuite.

Le diable et les créatures de Jerome Bosch, nos représentations de l’enfer et les tentations de Saint Antoine, les êtres démoniaques qu’on trouve dans toutes les cultures du monde et que tous les enfants cherchent sous leur lit la nuit venue, ne sortent pas de rien mais de là : il y a, au fond de nous, quelque chose de cruel qui palpite.

Ayant compris cela et pensant que tous les combats pour la paix et l’amour seraient vains tant que nous n’aurions vaincu notre propre nous-mêmes, Etty Hillesum proposait qu’avant tout autre chose, chacun de nous extirpat le mal qui est en lui ; et qu’après seulement on pourrait songer aux autres.

Mais je ne suis pas sûr que cela soit possible. Il y a trop d’énergie, trop de force, trop de violence tapies là pour qu’on puisse les extirper. Il faut accepter leur présence, la sentir, l’apprivoiser, l’utiliser comme un marin les vents contraires.

Ces monstres en nous, ces monstres intimes ne sont pas des étrangers ; il sont une part de nous-mêmes. Cette sauvagerie est un pan de notre humanité.

Aldor Écrit par :

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