Oncle Bernard

Mail de Jacques, avant-hier soir, rempli de références et d’allusions auxquelles, comme d’habitude, je ne comprends rien. Il évoque à un moment l’Oncle Bernard et un court instant (très très court instant à vrai dire ; je suis vaniteux mais réaliste) je pense que c’est moi dont il s’agit. Mais non, évidemment, c’est de Bernard Maris, qui publiait sous ce nom ses articles de Charlie Hebdo.

J’aimais beaucoup, comme tout le monde je pense, Bernard Maris, dont j’écoutais les chroniques avec un un grand plaisir ; et avec son souvenir, réveillé par Jacques, revient celui du massacre de Charlie Hebdo et cette question lancinante et générale : comment peut-on tuer pour convaincre, comment peut-on vouloir effrayer ceux dont on recherche l’adhésion, comment peut-on vouloir contraindre un consentement qui n’a de valeur que librement accordé ?

Contrairement aux conquêtes militaires et à la guerre, ce qui fait la valeur de la croyance, de la foi, de l’amour, du don, c’est évidemment qu’ils sont librement et joyeusement donnés, épousés, consentis. Comment peut-on ne pas comprendre que, forcés, ils ne sont plus rien ?

Comment peut-on être assez dépravé pour ne pas comprendre cela et pour massacrer ses opposants, imposer une adhésion ou une foi par la terreur, violer ? Insondable et terrible mystère.

À cette position, qui est de principe et absolue, deux compléments qui ne la contredisent pas mais en éclairent les limites au sens des asymptotes et de la géométrie : la première est qu’il faut parfois contraindre les méchants pour éviter qu’ils ne fassent du mal ; la seconde que, si le consentement ne peut jamais être forcé, la reconnaissance ou l’acceptation peut l’être.

Les méchants, c’est facile : on ne laisse pas l’assassin en paix parce que non seulement sa croyance mais ses agissements sont mortifères. Pour la reconnaissance ou l’acceptation, c’est plus compliqué, plus délicat aussi car moins impératif. Mais enfin c’est ainsi : il faut parfois, pour qu’une chose soit vraiment établie et qu’on puisse la dépasser pour aller de l’avant, qu’elle soit explicitement reconnue, acceptée. Il faut, pour débloquer ce qui est empêtré et continuer à vivre que des rituels de deuil soient suivis, et que des mots – d’excuse, de remerciement, d’amour et parfois tout cela en même temps, n’est-ce pas K. ? – soient prononcés. Et comme, tant que ces gestes n’ont pas été faits ni ces mots prononcés, tout est figé et suspendu, contraindre leur expression peut être légitime.

Mais hors ces cas asymptotiques, comment ne pas voir que, dans la contrainte, meurt l’objet du désir, qui est d’être librement choisi, désiré, épousé, et qu’il n’en reste qu’un goût de cadavre, de sang et de cendre, un dégoût ?

Salut Bernard, et merci Jacques.

Aldor Écrit par :

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