J’assistais l’autre jour (mon rôle se résumait à garder la consigne à bagages) à une compétition sportive dans une grande, une immense salle de sport du Bois de Vincennes. Et j’ai été frappé (comme je l’avais été déjà lorsque j’accompagnais Juliette à des compétitions de gymnastique) par l’omniprésence de la musique, que, dans ces occasions, on entend tout le temps et partout.
C’est paradoxal : on pourrait imaginer que la musique trouble les compétiteurs, nuit à leur concentration, les gène. Mais ce n’est apparemment pas le cas. Au contraire : elle les accompagne, les soutient, les aide à rester éveillés. Elle ne trouble pas l’attention mais la renforce.
On repasse, on bricole, on nettoie, on cuisine avec de la musique ; et l’éventail des activités avec lesquelles celle-ci agit comme un adjuvant est large. La Juliette gymnaste dont je parlais à l’instant est devenue étudiante, et c’est en musique que, comme Balthazar d’ailleurs, elle travaille et potasse ses cours. Et pour changer un peu d’angle de vue, qui tend l’oreille aura vite fait de constater que, derrière ma voix, s’entend une musique : Bayati, de Georges Gurdjieff, qui, bien qu’elle s’ajoute à mes paroles, ne les rend pas plus floues, moins nettes, mais au contraire plus claires et distinctes.
Notre esprit est ainsi fait qu’étonnament, nous sommes plus attentifs aux choses, plus en éveil, plus présents au monde avec de la musique, avec un fond sonore dessinant un paysage, que dans le silence. Ou, pour dire les choses autrement : peut-être la musique gène-t-elle notre concentration mais elle soutient l’attention, qui n’est pas la même chose et qui, dans bien des cas, est beaucoup plus utile, beaucoup plus efficace que ne l’est la concentration.
Simone Weil avait relevé cette différence lorsque, s’intéressant aux études et à la prière, elle avait remarqué que, dans la résolution des exercices de mathématiques, la concentration était contreproductive et que c’était l’éveil qu’il fallait savoir mobiliser :
“L’attention consiste à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide et pénétrable à l’objet, à maintenir en soi-même, à proximité de la pensée, mais à un niveau inférieur et sans contact avec elle, les diverses connaissances acquises qu’on est forcé d’utiliser. […] Et surtout la pensée doit être vide, en attente, ne rien chercher, mais être prête à recevoir dans sa vérité nue l’objet qui va y pénétrer. ».
J’aimerais pouvoir tirer de cette constatation pratique une grande leçon psychologique mais je ne suis pas sûr que le propos puisse être vraiment élargi. J’ai par exemple le sentiment qu’il ne peut pas l’être aux arts visuels. Sans doute y a-t-il, dans la peinture, une tradition du portrait sur fond de paysage mais il y a aussi et inversement, dans la photographie, la recherche du bokeh, c’est-à-dire un art de la focalisation sur le sujet qui est le contraire de la musique de fond.
Ô variété des choses et des êtres ! Ô irréductibilité du monde à des idées et des lois simples !
Bonjour ! Il y a d’excellents articles sur ce thème dans le domaine de la neuropsychologie. C’est passionnant.
Merci Roseleen !