Notre capacité à être distrait par tout ce qui passe, à manquer dramatiquement d’attention, est connue. Mais cette distraction atavique, qui a les inconvénients qu’on sait, est aussi un don – ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’il ne faille pas la combattre (Eh oui : rien n’est simple !).
A la différence de beaucoup d’autres animaux, qui sont naturellement focalisés sur ce qu’ils font, attentifs à ce qui les entoure, aux bruits, aux vibrations, il nous faut, pour atteindre cet état de conscience et d’éveil, de la discipline, de longs exercices de méditation parce que notre penchant naturel est de rêvasser, d’écouter notre brouhaha intérieur, qui est bavard, de céder constamment à l’appel des sirènes qui détournent notre attention.
Mais cette inattention (qu’on peut également voir comme une attention à très large spectre) est aussi ce qui nous donne accès au monde magique des rapprochements, des correspondances, des analogies : notre décentrement continuel nous porte à tenir compte de ce qui est autour, de ce qui rappelle, rime ou entre en résonance avec ce que nous voyons, entendons ou sentons ; à enrichir nos perceptions de connotations diverses, puisées dans d’autres champs de connaissance ou d’expérience.
Peut-être est-ce dans ces moments où la pensée dérive et vagabonde qu’elle est la plus capable d’établir des liens entre objets différents, de reconnaître des analogies, d’être touchée par l’illumination. Peut-être est-ce dans cette divagation, dans cette défocalisation, que nous trouvons le moyen de nous arracher des choses pour imaginer et créer.
Sans doute une part de l’humain est-elle dans cette distraction chronique, dans cette difficulté à rester mobilisé vers un objectif unique, dans ce dilettantisme constant de l’attention qui est à la fois ravageur et fécond. Ravageur parce qu’il interdit d’approfondir, qu’il gêne l’étude et le travail arides ; fécond parce qu’il permet d’évoluer, de passer à autre chose et, parfois, dans ce cheminement vers autre chose, de mieux revenir à ce qu’on a quitté.
C’est pourquoi il faut préserver cette faiblesse et la chérir ; mais savoir aussi en user avec elle comme avec le reste : avec dilettantisme.
L’illustration est un détail de La bataille d’Alexandre, d’Albrecht Altdorfer. C’est Pierre qui, il y a longtemps maintenant, m’a fait découvrir ce tableau qui montre ce à quoi pourrait peut-être ressembler une attention totale, une attention qui, d’un bout à l’autre du champ de vision, verrait tout.
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Merci, très sage Aldor !