Chanter

Une cigale à Porquerolles

Je me demande si les humains ont commencé à parler, ou bien à chanter, bercer, psalmodier, mais je parierais bien que c’est le chant et la berceuse, le murmure accompagnant la caresse qui furent premiers, comme est premier le chant des cigales d’ici.

On parle pour communiquer une information, une connaissance, un savoir, mais on se fait d’abord entendre pour exprimer sa présence et son énergie, babiller, crier, indiquer qu’on est là et qu’on se porte bien (ou mal le cas échéant) ; qu’on est là avec ceux qui sont là, présent au monde et aux autres. La voix est un appendice avancé du toucher, l’annonce d’une caresse ou d’un coup, de l’embrassement des corps ou de leur lutte prochaine.

À Porquerolles, les cigales chantent, cymbalisent plutôt. À peine le soleil du matin les a-t-il touchées qu’elles chantent jusqu’au soir venu. Ce sont les mâles qui signalent ainsi aux femelles qu’ils sont là, qui font acte de présence.

Sans doute les cigales ont-elles mauvaise vue. À les observer se cogner partout des lors qu’elles prennent leur envol, cela paraît probable. C’est probablement pourquoi les mâles ont besoin de chanter pour faire savoir qu’ils sont là, prêts à faire leur devoir de mâle.

Nous autres humains, qui avons bonne vue, n’avons pas ce besoin là. Et pourtant nous aussi chantons, chantonnons, sifflons et parlons pour nous faire entendre de nos semblables, pour nous manifester, même lorsque nous n’avons rien de particulier à communiquer. Nous aimons faire savoir que nous sommes là, même lorsque cette présence est évidente.

La voix a une autre utilité, que l’exemple des cigales aide aussi à comprendre, même s’il s’agit sans doute en l’occurrence d’anthropomorphisme : elle permet d’exprimer, au sens premier de l’évacuation, le trop-plein d’émotion, et d’éviter qu’il ne nous submerge et ne nous tétanise. Nous chantons moins pour passer le temps que nous ne le faisons pour évacuer notre bonheur et notre peine.

Je me dis parfois, écoutant les cigales et les oiseaux, les saudades et les comédies musicales, que la voix et le chant sont, à nos émotions, ce que les poils sont à la chaleur corporelle. Et de même que ceux-ci permettent aux humains, malgré leur apparence fragile, d’être de redoutables prédateurs car capables d’épuiser une proie en la poursuivant sur des kilomètres, la voix nous permet de dissiper les émotions trop fortes qui, sans le chant, finiraient par nous étouffer comme leur chaleur étouffe les animaux chassés à courre.

Sans doute cela vaut-il pour toutes les formes d’art et d’expression, toutes les danses, les gravures, les récits et les mythes : c’est à notre capacité d’évacuer les émotions qui nous submergent que nous devons aussi notre survie.


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3 Comments

  1. Que le chant précède la parole, que l’intonation précède la syllabe, est une brillantissime idée, Aldor. Que l’art soit un jeu avec les émotions est tout aussi brillant. Et à propos des graphismes rupestres, j’en recommande les explications de Jean-Loïc le Quellec.
    Une belle journée à toi, Aldor.

    • 18 août 2023
      Reply

      Et le dessin, Gilles, et le dessin. Il était inclus aussi, bien sûr .

      Bonne journée à toi aussi.

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