Je regardais, hier soir, mes compagnes et compagnons de théâtre : chacun tenait son rôle du mieux qu’il le pouvait puis, à la fin du cours, nous nous éparpillâmes, redevenant qui nous étions ; ce matin, j’écoutais de la musique, des musiques diverses, entraînantes et calmes, joyeuses et mélancoliques, dans l’émotion desquelles, ravi, je me plongeais ; et je me souvenais de cette jeune femme par deux fois croisée l’autre jour, dans la rue, à quelques minutes d’intervalle, avec son téléphone : je l’avais vue sanglotante, puis riant aux éclats.
Ce qui nous rend si attachants et magnifiques (et parfois, malheureusement, méchants et maléfiques) ; ce qui fait de la compagnie de nos semblables un trésor passionnant et inépuisable, c’est cette polyvalence, cette versatilité, pour reprendre le mot anglais, qui me semble moins connoté de mécanique et de chimie que le terme français, plus aérien, plus juste : nous sommes de cette espèce dont chacun des représentants est capable de créer, de produire, de susciter, de partager, de ressentir une gamme probablement infinie d’idées, d’oeuvres, de pensées, de sentiments, d’émotions : en chacune et chacun d’entre nous, un univers plus infini que l’infini gît, palpite et parfois se dévoile.
Quand on prend conscience de cela, comme c’était le cas ce matin tandis que je vibrais dans le noir aveuglant d’une chanson d’Amy Winehouse, sa voix déchirant mes entrailles ; quand on prend conscience de cela, comme cela arrive, de temps à autre, dans une révélation brutale qui fulgure et saisit, on est bouleversé : rempli d’admiration pour cette créature (je parle de nous autres) si extraordinaire, si talentueuse, si sensible ; et brisé, en même temps, par la perception de la fragilité des choses, la tristesse qui nous envahit du gâchis que nous faisons de toutes ces qualités ; et, nouant tout cela dans un éblouissement, l’intuition qu’il ne saurait en aller autrement, que cela forme un bloc indissociable, et qu’il faut, pour faire le meilleur, être capable du pire.
Nous sommes versatiles, et nos maquillages, nos coiffures, nos scarifications, nos vêtements ne sont que des couches ajoutées à la diversité prodigieuse de nos sentiments et de nos émotions, qui déjà se traduit dans nos traits, nos expressions, nos sourires, nos sourcils, nos mains, notre phénoménale capacité d’adaptation.
Les autres animaux ont-ils cette faculté que nous avons de ressentir, d’exprimer, de jouer, d’assumer mille rôles différents et contraires ? Nous ne savons pas, comme avec nos semblables, décrypter le langage de leur corps, de leurs cris, de leur attitude. J’ai toutefois le sentiment que nous sommes particulièrement doués, faits d’une cire particulièrement molle, que nous sommes l’être aux cent visages pour être l’être sans visage, cet enfant d’Epiméthée qui s’habille car il est nu.
Nous sommes cette créature qui est moins qu’elle ne devient, à chaque instant devient ; qui n’étant rien peut être tout.
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