Croissez et multipliez
6.Résister à l’hubris

Dans un univers rempli d’étoiles et de galaxies,  une boule de rien laissée à l’émergence de l’altérité

Une croissance économique continue et éternelle n’a pas de sens ; elle n’est pas possible ; elle n’est pas bonne. Indépendamment même des problèmes écologiques découlant de la perte de biodiversité et de la pollution, envahir le monde d’autres nous-mêmes, le saturer de nos productions humaines et d’animaux domestiques devenus nos choses, appliquer le précepte de la Genèse et faire vraiment de l’univers notre univers, cela n’est ni bon, ni souhaitable.

La Kabbale avec le tsimtsoum et Simone Weil avec la décréation évoquent ce début des temps où Dieu, ayant surgi du néant et occupant à lui seul le tout, l’univers-monde qu’il a créé et avec lequel il se confond, décide d’opérer un retrait, de se réduire, de se faire plus petit, pour laisser place à autre chose, pour qu’autre chose, l’inconnu, l’imprévu, l’altérité, puisse advenir. Et c’est dans cet espace vide, dans cet espace laissé volontairement inoccupé par Dieu, que l’univers et la Création vont pouvoir apparaître et s’accomplir, issues du choix divin de ne pas tout contrôler, de ne pas tout absorber, de ne pas s’étendre autant qu’il le pourrait.

Ne pas faire tout ce qu’on peut faire, ne pas dire tout ce qu’on peut dire mais laisser volontairement des choses en suspens, des choses dans l’inachèvement ; laisser du vide et du silence pour que, au sein de ce vide et de ce silence, puisse advenir autre chose, quelque chose qu’on ne sait pas, quelque chose d’inédit et d’incontrôlé, quelque chose qui se forge et se noue dans l’instant et le mouvement, qui se développe dans le miracle de la grâce et de la liberté : un coup de foudre, un amour, une radicale nouveauté.

Renoncer. Renoncer à être tout, à croître indéfiniment, à remplir le monde de nous-mêmes, de nos créatures et de nos créations ; renoncer à faire tout ce qu’il nous serait possible de faire ; renoncer à cette avidité, à cette gloutonnerie qui nous entraînent à tout manger, à tout tenter, à toujours pousser jusqu’au bout notre avantage, à aller toujours jusqu’à l’hallali. Faire preuve de retenue, de clémence, et résister à l’hubris, cette illusion (ou peut-être cette réalité) de toute puissance, pour pouvoir encore accueillir autre chose, ne pas être enchaîné, entravé, esclave de notre vanité, de notre prétention, de notre orgueil. Ne pas tout occuper pour pouvoir encore ressentir le vide et le manque, pour que puisse encore fleurir l’amour, et pour que les racines de cet amour, de ce saut dans l’altérité qu’est l’amour puissent encore, dans un grand éclat de rire, faire éclater nos certitudes.

Laisser une place au doute, à l’amour, à la joie.

Fin


En illustration sonore, au dessous de ma lecture et de Bayati, de Georges Gurdjieff, un chant de merle que je dois à la BBC.


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