Assez !


 

J’écoutais ce matin – et redécouvrais – la chanson de Claude Nougaro intitulée Assez !  dont on trouvera un enregistrement (pas très bon) au bout de ce lien et les paroles au bas de cet article.

Cette chanson a été composée – elle a au moins été publiée –  en 1980 et on y trouve à la fois une réflexion écologique sur les ravages auxquels l’homme soumet la nature, et une réflexion morale sur les maux que l’humanité, depuis toujours, commet contre elles-même. Et ces deux réflexions sont intimement liées, nouées, présentées comme  ayant trait à deux manifestations distinctes d’une même réalité : cette couronne d’épines que nous portons au front et qui nous fait hurler.

Tant de choses dans cette chanson !

La première est la reconnaissance de la communauté profonde de racines de ces deux manifestations : souiller la nature n’est pas massacrer mais c’est probablement le même malheur qui est semé, la même angoisse qui s’agite au cœur de l’homme dans l’un et l’autre cas.

La deuxième, que je n’avais pas notée tandis que je parlais et qui me revient tandis que j’écris, est la prise de conscience de la dimension métaphysique des malheurs et des drames : on peut, à toute chose et à juste titre, donner des explications politiques ou économiques : la pollution est une production du capitalisme débridé et les guerres la conséquence de l’affrontement des nationalismes ; la criminalité se nourrit de l’injustice sociale et la chasse au narval de la crédulité des masses. Tout cela est vrai. Mais il y a aussi, au fond, qui n’explique pas tout mais sans qui les choses ne seraient pas ce qu’elles sont, cette propension de l’homme à agir mal, cette méchanceté que chacun d’entre nous nourrit en son sein.

Nous avons la conscience, qui est une lumière, et en même temps cette attirance vers le vide et le sombre. L’éclat d’un côté, qui nous élève et nous fait toucher le ciel ; et de l’autre l’obscur qui nous engonce et nous précipite vers ce que les religions appellent ou décrivent comme la chute, l’arrivée du dresseur de chevaux de Tchouang-Tseu : l’élan vers le ciel et, simultanément, la tentation du précipice.

Mais ce qu’on doit aussi finalement probablement comprendre, c’est que cette simultanéité n’est pas coïncidence ; elle n’est pas le fruit étrange et paradoxal du hasard. Ce qui nous projette si haut est aussi ce qui nous enfonce si bas. Ce qui peut nous rendre sublimes est aussi ce qui peut nous rendre mauvais. C’est la même expulsion hors de l’Eden, la même transgression – transgression qui est l’humanité de l’homme – qui dans l’un et l’autre cas nous porte et nous accompagne, nous sort de l’animalité – pour le meilleur et pour le pire.


Il serait temps que l’homme s’aime
Depuis qu’il sème son malheur
Il serait temps que l’homme s’aime
Il serait temps, il serait l’heure
Il serait temps que l’homme meure
Avec un matin dans le cœur
Il serait temps que l’homme pleure
Le diamant des jours meilleurs
Assez ! Assez !
Crient les gorilles, les cétacés
Arrêtez votre humanerie
Assez ! Assez !
Crient le désert et les glaciers,
Crient les épines hérissées,
Déclouez votre Jésus Christ
Assez !
Suffit.
Il serait temps que l’homme règne
Sur le grand vitrail de son front
Depuis les siècles noirs qu’il saigne
Dans les barbelés de ses fronts
Il serait temps que l’homme arrive
Sans l’ombre avec lui de la peur
Et dans sa bouche la salive
De son appétit de terreur
Assez ! Assez !
Crie le ruisseau dans la prairie,
Crie le granit, crie le cabri
Assez ! Assez !
Crie la petite fille en flammes
Dans son dimanche de napalm
Eteignez moi, je vous en prie
Assez !
Suffit.
Que l’homme s’aime, c’est peu dire
Mais c’est là mon pauvre labeur
Je le dis à vos poêles à frire
Moi le petit soldat de beurre
Que l’homme s’aime c’est ne dire
Qu’une parole rebattue
Et sur ma dérisoire lyre
Voyez, déjà, elle s’est tue…
Mais voici que dans le silence
S’élève encore l’immense cri
Délivrez vous de vos démences
Crie l’éléphant, crie le cri-cri,
Crient le sel, le cristal, le riz,
Crient les forêts, le colibri,
Les clématites et les pensées,
Le chien jeté dans le fossé,
La colombe cadenassée…
Entendez le ce cri immense,
Ce cri, ce rejet, cette transe
Expatriez votre souffrance
Crient les sépulcres et les nids
Assez ! Assez !
Fini.
Aldor Écrit par :

Un commentaire

  1. Ah, Nougaro. Mon maître, à chanter, écrire, poétiser. Tête, cœur et tripes liées… je ne me console pas de sa disparition.

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