Attendre


Dans Formes de l’amour implicite de Dieu (qui fait partie des oeuvres regroupées ensuite dans Attente de Dieu), Simone Weil écrit :

La recherche active est nuisible, non seulement à l’amour, mais aussi à l’intelligence dont les lois imitent celles de l’amour. Il faut simplement attendre que la solution d’un problème de géométrie, que le sens d’une phrase latine ou grecque surgisse dans l’esprit. À plus forte raison, pour une vérité scientifique nouvelle, pour un beau vers. La recherche mène à l’erreur. Il en est ainsi pour toute espèce de bien véritable. L’homme ne doit pas faire autre chose qu’attendre le bien et écarter le mal. Il ne doit faire d’effort musculaire que pour n’être pas ébranlé par le mal. Dans le retournement qui constitue la condition humaine, la vertu authentique dans tous les domaines est chose négative, au moins en apparence. Mais cette attente du bien et de la vérité est quelque chose de plus intense que toute recherche.

L’attente qu’elle décrit ici est ce qu’elle appelle parfois la prière. C’est cette attitude de l’esprit consistant à être attention, veille, vigilance ouverte et à attendre que Dieu ou la vérité descende sur nous et nous emporte sur ses ailes.

Bien qu’intense, cette attente est passive et humble. Au contraire de la recherche qui compte sur ces propres forces pour s’élever vers la vérité, la prière attend, vierge et prête à tout.

La recherche, dit Simone Weil, mène à l’erreur. C’est qu’elle ne peut approcher que ce qu’elle conçoit déjà, qu’elle ne peut découvrir que ce qu’elle cherche, qui est d’une certaine façon ce qu’elle sait déjà. L’attente, quant à elle, est sans objet défini ; elle peut donc embrasser l’incompris et l’inconcevable – l’inconnu véritablement inconnu.

La recherche compte sur la raison et la science pour gravir le chemin de la vérité ; l’attente espère le secours divin. Là est peut-être la différence profonde entre Descartes et Pascal. Ça n’est pas que l’un douterait quand l’autre ne douterait pas mais Descartes espère dépasser le doute en s’élevant par la connaissance et la raison quand Pascal préfère attendre que la grâce descende sur lui.

Voilà un vœu que je formerais volontiers pour l’année qui commence, aussi bien pour moi que pour les autres : apprendre, dans les matières qui s’y prêtent, c’est-à-dire les plus essentielles et les plus précieuses, les biens véritables, l’amour, à attendre plus qu’à rechercher. Parce que :

Les biens les plus précieux ne doivent pas être cherchés, mais attendus. Car l’homme ne peut pas les trouver par ses propres forces, et s’il se met à leur recherche, il trouvera à la place des faux biens dont il ne saura pas discerner la fausseté.


Bonne année nouvelle !


En introduction et conclusion musicales, le Magnificat H 73, de Marc-Antoine Charpentier.


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10 Comments

  1. 1 janvier 2019
    Reply

    Bonne année à toi, Aldor ! Merci pour ce beau texte, que j’avais lu, et oublié. Il y a aussi ceux qui comme moi croient qu’il vaudrait mieux chercher, mais qui ne savent pas comment… 🙂

    • 1 janvier 2019
      Reply

      Je voudrais rectifier : je suis touchée par ce qu’écrit ici Simone Weil, et je pense qu’elle doit avoir raison, mais ne pas chercher m’est facile, chercher m’est difficile, et par conséquent, me méfiant de moi et ne connaissant que trop mes limites, j’ai tendance à penser que ceux qui cherchent, ceux qui savent mobiliser leur volonté, qui tracent leur chemin plutôt que de prêter voile à une éventuelle brise, s’y prennent mieux que moi.

      • 5 janvier 2019
        Reply

        Oh ! Frog, tu l’auras probablement compris : je parle ici avec le culot du fraîchement converti car c’est exactement le contraire que j’ai toujours fait. Mais très probablement j’ai toujours mal cherché. C’est le problème de la recherche : on ne cherche jamais que ce qu’on a déjà trouvé et pour peu qu’on ait mal trouvé, il est facile d’errer sans fin…

  2. 1 janvier 2019
    Reply

    Merci, Aldor, et mes meilleurs vœux à toi, une très sereine et très excitante nouvelle année.

  3. Je suis tout à fait d’accord avec Simone Weil. Pendant des années, j’ai « cherché » à comprendre, pallier, colmater, remplacer et je me suis fourvoyée. Maintenant, quand je reprends l’acte de « chercher », tout de suite, une gêne apparait, comme un acte vain et irritant. Alors, effectivement, je lâche prise, m’ouvre à Dieu, et lui rappelle toute ma confiance. Petite anecdote : en 2014, lorsque je cherchais du travail, je passais tous les jours en promenade avec mon chien, devant un panneau de l’association Nouvel Horizon où je travaille désormais. C’était là, Dieu me le montrait 🙂 Je te souhaite le meilleur pour cette année.

    • 5 janvier 2019
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      Merci de tes souhaits, Christelle. Reçois les miens.

      Tu es sans doute beaucoup plus avancée que moi sur ce chemin…

  4. 1 janvier 2019
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    Magnifique préambule à cette entrée dans la nouvelle année alors Bonne Année Nouvelle Aldor!

    • 5 janvier 2019
      Reply

      Merci Belles sources.

      Tous mes voeux de bonheur de joie et de beauté pour cette année nouvelle, dans ton beau pays que je ne connais pas!

      • 5 janvier 2019
        Reply

        Merci Aldor, mes plus beaux vœux pour toi aussi. Je ne suis pas dans mon pays mais dans ton beau pays que je connais (sourire)

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