Le charme

Peut-être cela pourrait-il être le Cervin vu de Davos (quoique le Cervin ne s’y voie pas…). Cela ressemble à la couverture de mon édition de La montagne magique

Dès ma première lecture de La montagne magique, il y a de cela une quarantaine d’années, je me suis identifié au personnage (très peu héroïque) de Hans Castorp. Et comme lui, j’ai subi l’ascendant, le charme de Mynheer Peeperkorn, jalousant probablement cet être grand et puissant, cette nature généreuse, mais acceptant et comprenant l’amour et l’admiration que lui porte Clavdia Chauchat, la femme que j’aime, ou plutôt qu’aime Hans Castorp, cet autre moi-même.

Il y a quelque chose de très mystérieux, magique, sacré, un peu effrayant, dans le charme qui émane de certaines personnes et qu’on ne saurait rationnellement expliquer. Quand Hans essaie, avec Settembrini et Naphta, de saisir la nature de la fascination qu’exerce Peeperkorn, d’en comprendre la consistance et d’en désigner les composantes, ils y échouent. Un pouvoir, une radiance, une force vitale émanent indiscutablement de cet homme, de ses manières et de son grand corps malhabile mais elle ne peut être détaillée, analysée, disséquée : sous le scalpel, elle disparaît, se fait insaisissable ; et ne restent plus que les propos le plus souvent inachevés, voire incohérents, tenus par le Hollandais, c’est-à-dire rien.

On peut, face à ce mystère, accepter, accueillir ou au contraire réfuter. Settembrini, homme de la raison et des Lumières, des choses droites et pures, discrètes et tranchées, voudrait que, animé de sa seule jalousie envers celui qu’aime celle qu’il aime, Hans rejette complètement Peeperkorn et n’y voie qu’une outre pleine de vent puisque rien de palpable à la lumière de la raison ne s’y peut distinguer. Mais Hans a appris. Son long séjour dans la montagne, parmi les malades et les morts, les étrangers aux passions ordinaires, lui a été une longue école. Il a appris de ses discussions avec Settembrini, justement, des controverses de celui-ci avec Naphta, de son amour pour Clavdia, surtout, qui a ouvert grand ses fenêtres et ses horizons. Et parce qu’il s’est ainsi ouvert, il accepte d’accueillir le mystère et la magie de ce charme, qu’il ne comprend pas mais qu’il faut bien accepter, puisqu’il est là, sans équivoque.

Accepter ce qu’on ne comprend pas, comme le fait aussi Alceste de son amour pour Célimène, c’est toujours périlleux, comme un saut dans le vide. Mais il y a sûrement une part de magie et d’incompréhensible à accepter pour ne pas passer à côté du monde et de la vie. Le scepticisme, “cette carie de l’intelligence” comme disait Victor Hugo, ne peut être notre seul maître. Il est vain et ne conduit nulle part.

Aldor Écrit par :

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