Avenance

L’ange au sourire un peu coincé de la cathédrale de Reims
(c) Société des amis de la cathédrale de Reims

Il y a des personnes qui, par défaut, quand rien ne vient spécialement les réjouir, les contrarier ou les absorber, sourient et se montrent avenantes. Et d’autres qui, dans la même situation, affichent un visage sévère ou fermé.

Comme beaucoup, probablement, je préfère ces visages ouverts, avenants, souriants, qui se prêtent et encouragent à l’échange et à la complicité, qui donnent le sentiment d’appartenir à une même communauté humaine.

Et pourtant, à quelques exceptions près (et encore sont-elles souvent un peu étranges, énigmatiques, laissées en suspens, comme si l’artiste n’avait pas osé aller au bout de son audace), les visages représentés dans les statues, les peintures, les fresques, sont rarement souriants, et le plus souvent empreints de gravité, de mélancolie, si ce n’est de tristesse ou d’affliction, comme si afficher sa bonne humeur, sa confiance, son plaisir de vivre, était mal venu voire indécent.

J’ai du mal à comprendre cet art chrétien qui, sous prétexte de la Passion, privilégie toujours la souffrance et la peine, oubliant que le sacrifice pascal a été accompli pour le salut des hommes et non pour leur enfermement perpétuel dans la terreur et la soumission. J’ai du mal à comprendre cette fascination pour le Mal et les maux.

Je me demande pourquoi beaucoup, dans la rue, qui n’ont pourtant pas de blessure saignante, montrent ce visage soucieux ou renfrogné. Ne savent-elles pas capter le plaisir infini des choses les plus simples ou craignent-ils seulement d’être considérés comme superficiels, égoïstes ou inconscients parce qu’ils ne pleurent pas, à chaque instant, sur l’immensité des malheurs du monde ? Katia, qui a pourtant tellement de qualités, m’avait dit cela, un jour : qu’il y avait de la bêtise à se sentir heureux.

On en revient au Ravi, dont j’ai déjà parlé, ce personnage de la crèche provençale qui est comme l’idiot du village et qui a comme particularité d’être le seul souriant parce que le seul capable de s’abstraire de ses soucis pour épouser la joie.

Celles qui prennent prétexte de la noirceur des choses pour assombrir leur regard et jouer les ombrageuses, et ceux qui, pire encore, sont tellement imbibés par les poisons du monde qu’ils ne peuvent retrouver l’étincelle de bonheur qui luit en eux, ceux-là sont vraiment malheureux car, croyant bien faire, ils trahissent la joie et ajoutent le malheur au malheur.

Toujours, dans mon esprit, brille l’image d’Etty Hillesum qui, dans son chemin vers l’enfer, s’émerveille de la beauté radieuse d’une fleur des champs poussant au milieu des baraques. C’est dans cet émerveillement candide que sont la vie, l’amour et la foi, et non dans le visage torturé d’un Christ agonisant.


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8 Comments

  1. Je suis juste passé devant lui il y a deux heures ! Belle fin de journée à toi, Aldor.

    • 18 mars 2023
      Reply

      Il est étrange, son sourire, n’est-ce pas ?

      Bon après-midi, Gilles.

  2. 21 mars 2023
    Reply

    Ton billet me parle.
    Je cultive la joie, et je préfère toujours offrir un visage souriant à autrui.
    Je suis en vie, je sens cette vie pulser en moi, et cela suffit à me rendre heureuse.
    C’est pourquoi je suis d’accord avec toi, d’un bout à l’autre de ton texte.
    Je t’embrasse.
    •.¸¸.•`•.¸¸☆

    • 22 mars 2023
      Reply

      Bonjour Célestine,

      Je pensais bien que, là, nous serions totalement d’accord.

      Et j’en suis bien content.

      Bises.

  3. 21 mars 2023
    Reply

    C’est bien ça, on dirait que pour certains sourire, rire, être insouciant, c’est signe d’égoïsme et d’innocence bête. On devrait porter la croix de tous les maux terrestres, ne jamais oublier qu’ailleurs on ne mange pas, on est en guerre, on est malades, on souffre… Moi j’ai souvent déploré que nos « mélodies » de messes chrétiennes soient larmoyantes et macabres, j’adorais par contre « il est né le divin enfant », quelle gaieté, quel bonheur…

    • 22 mars 2023
      Reply

      Bonjour Edmée,

      Sur Linkedin, quelqu’un m’a répondu qu’il sagissait d’en rabattre avec l’orgueil habituel des humains : leur rappeler leur faiblesse et la mort pour éviter la vanité.

      Mais quelle étrange conception de l’amour…

  4. 23 mars 2023
    Reply

    Un ravi de la crèche réside à l’année sur mon bureau et que j’aurais tendance à considérer comme détenteur de l’intelligence du cœur aimant, capable de contempler ces petites choses auxquelles personne ne s’intéresse parce qu’elles sont ordinaires et même joyeuses. Comme si le maussade était toujours préférable au soleil.

    • 23 mars 2023
      Reply

      Ça me paraît être un excellent choix pour un compagnon de bureau !

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