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Nous aimons, très profondément, la liberté, et cette sorte de liberté supplémentaire, fondamentale qu’est le jaillissement continu et imprévisible du temps. A chaque instant, le monde renaît, riche de toutes ses potentialités, et jamais nous ne pouvons savoir de quoi demain sera fait.
Nous aimons cette liberté fondamentale et élémentaire qui est comme le sel de la vie parce qu’elle rend chaque instant unique, irrémédiable et précieux.
Mais nous aimons aussi les règles, les certitudes et les points fixes. C’est pourquoi nous aimons répliquer, au cœur des relations humaines et de toutes les choses inachevées et incertaines qui sont le flux même de nos existences, les quelques rares grandes lois qui paraissent régir le monde : nous voudrions bien que, dans nos relations aux autres et dans l’histoire, existe une sorte de gravitation universelle.
Nous voulons toujours que, de l’instable et de l’imprévisible, émerge malgré tout du fixe et du sûr, qu’une réponse univoque soit donnée à une question équivoque : M’aimes-tu ou ne m’aimes-tu pas ? Est-ce autorisé ou est-ce interdit ? Est-ce comme ceci ou est-ce comme cela ? Nous devinons bien, au fond de nous mêmes, que la vraie réponse à ces questions n’est jamais simple ou pérenne, et que si une réponse simple peut être donnée à un instant, elle ne saurait, sans mentir, être considérée comme éternelle. Et c’est tant mieux. Car, pour ne parler de l’amour, il ne vaut évidemment qu’en tant qu’il est recréation perpétuelle, renouvellement de chaque instant, promesse de chaque matin.
Nous le savons, et pourtant nous posons la question et sommes en attente de ces règles, de ces sûretés, de ces assurances, que la réalité du monde ne saurait nous donner. Et nous sommes même prêts, comme l’observait le Grand inquisiteur des Frères Karamazov, à abdiquer, pour un peu d’assurance et de certitude, de cette liberté que nous chérissons tant.
Nous sommes ainsi ballottés, tout au long de notre existence, entre l’amour de la liberté et celui des règles, et recherchons à tour de rôle la joie de l’inconnu et le plaisir du certain.
Cet écartèlement est la condition humaine. Et c’est ainsi que les hommes vivent.
[…] A propos de notre hésitation entre besoin de liberté et besoin de règles. […]