Abandonner les flacons pour garder les étoiles


En cette époque où, après avoir été, pour certains d’entre nous, trop prodigues, nous devons suivre le chemin de la sobriété, il nous faut apprendre ou réapprendre à distinguer mieux l’important de l’accessoire, l’essentiel de l’inessentiel.

A cela, rien à redire.

Mais à lire les articles et les déclarations qui paraissent à ce propos, on se rend compte que parfois – souvent serait plus juste – l’important est confondu avec le sérieux, l’utile avec l’utilitaire, et l’essentiel avec ce qui participe du développement économique et de la production de richesses.

C’est ainsi qu’on regrette l’électricité employée dans les illuminations de Noël, le kérosène brûlé dans un avion volant vers Bali, ou encore l’argent dépensé dans une sonde spatiale envoyée aux confins du système solaire. Et nos biens-pensants de s’écrier que tout cela est du gâchis, et que c’est bien par ces choses inutiles qu’il faudrait commencer à réduire notre train de vie trop élevé.

Pas un mot, en revanche, de l’électricité employée à illuminer des tours de bureaux, du kérosène brûlé dans les avions amenant des hommes d’affaires dans une foire commerciale ou de l’argent dépensé dans l’édification d’une chaîne de fabrication d’un nouveau SUV. Rien sur le liquide noir arraché aux terres schisteuses à seule fin que puissent, sur toute la planète, s’aligner dans les magasins identiques de galeries commerciales identiques, des flacons ou des gadgets reproduits des millions de fois.

Notre société, notre planète, progressivement s’étouffent et se meurent d’un système économique dont le dynamisme et la pérennité reposent sur la massification – la trivialisation – d’objets qui n’ont d’autre fin que d’alimenter le circuit de la croissance. Et notre difficulté à sortir de ce processus de salissure et d’épuisement du monde vient en partie de la confusion que cet état des choses crée, en notre esprit, entre l’important et le créateur de richesses.

Or s’il est beaucoup plus créateur de richesses de se rendre à une foire commerciale à Singapour que d’aller visiter Bali, d’éclairer les locaux d’une banque de la City que d’illuminer, pour Noël, les rues d’un village des Pouilles abandonné du monde, ou d’assembler en grande série le dernier modèle d’une voiture que d’envoyer vers les étoiles une sonde d’exploration, c’est évidemment du côté de celles de ces actions qui créent le moins de richesse que se trouvent les choses essentielles.

Nous ne mourons pas d’être partis à la découverte de l’univers, d’avoir appris à traverser le monde ou de savoir illuminer nos nuits. L’homme ne meurt pas d’avoir pris grandeur nature, comme disait Aragon. Ce qui nous vrille et nous pèse est d’avoir mésusé de ces technologies qui exaltaient le monde et le rendaient plus beau pour fabriquer des objets inutiles qui l’enlaidissent et le salissent.

Le malheur de l’avion, ce n’est pas d’être utilisé pour que des hommes découvrent ce qui se cache derrière l’horizon lointain ; c’est sa banalisation dans des voyages d’affaires où l’on passe de ville en ville sans que rien ne voyage. Le malheur de l’énergie, ce n’est pas la joie qu’elle donne dans les nuits froides de l’hiver ou les concerts de rock, c’est qu’elle s’achève dans ces bataillons de flacons colorés qui s’alignent sur les étagères des grands magasins.

Des flacons de détergents dans un magasin de Barcelone

Il nous faut réapprendre les catégories de l’important, de l’essentiel, du nécessaire, les dégager de la gangue dans laquelle un système économique aveugle les a engoncées. Abandonner les flacons pour garder les étoiles.

Aldor Écrit par :

Un commentaire

  1. 24 février 2019
    Reply

    Mais une grande voix venue d’un mégaphone

    Dont le pavillon sortait

    De je ne sais quel unanime poste de commandement

    La voix du capitaine inconnu qui nous sauve toujours cria

    IL EST GRAND TEMPS DE RALLUMER LES ÉTOILES

    Apollinaire

    Entièrement d’accord avec toi, cher Aldor.

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