L’enfant singe

Je ne suis ni paléontologue, ni anthropologue, et n’ai aucune compétence en ces matières, mais quand je regarde, à la Galerie de paléontologie du Museum d’histoire naturelle, les crânes d’orang-outan, de gorille ou de chimpanzé juvéniles, je suis frappé par leur forme, très arrondie, très différente de celui des adultes de la même espèce, et très proche en revanche de celle des homo sapiens adultes. Comme si les êtres humains étaient des cousins juvéniles des autres grands singes, comme si la séparation de notre branche avec celle des chimpanzés et bonobos, il y a quelques sept millions d’années, avait simplement permis que se développe, comme espèce propre, une forme de singe toujours enfant.

On l’a appris en comparant les espèces domestiquées aux espèces sauvages, notamment les chiens aux loups : la domestication se traduit souvent par le renforcement des caractères juvéniles des individus : les chiens sont joueurs et curieux comme des louveteaux et gardent ce tempérament lorsqu’ils deviennent adultes, à un âge où leurs cousins loups s’assagissent. Nous sommes un peu comme des chimpanzés et bonobos qui se seraient domestiqués eux-mêmes, privilégiant les traits et les comportements d’une éternelle adolescence.

Je n’ai, je le répète, aucune compétence en ces matières. Ce que j’écris ici n’est donc que matière à songer, libre exercice de pensée. Mais je trouve assez tentante, assez riche, assez explicative, cette idée d’une évolution en partie régressive, l’hypothèse d’une apparition et d’un développement de l’humanité qui ne serait finalement que la naissance, l’expansion puis le triomphe d’un enfant-singe, d’une espèce dotée d’un gros cerveau mais figée dans son enfance, et en laquelle seraient indissociablement liées les immenses qualités et les quelques défauts des enfants – à moins que ce ne soit le contraire. Quelque chose comme des enfants rois qui, par leur énergie, leur curiosité, leur vivacité débordantes, auraient su conquérir le monde mais n’auraient pas encore appris à le gérer en bonne mère de famille et en useraient comme d’un jouet, sous l’oeil attristé mais impuissant de leur parentèle.

Aldor Écrit par :

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