Le chapitre 9 de l’Oeuvre, de Tchouang-Tseu (ou Zhuangzi), que j’ai lu sur Aldor, est un court texte, très poétique, qui raconte le monde d’avant la chute, d’avant ce moment où l’homme commença à asservir la nature, à subjuguer les animaux et, simultanément, à perdre son innocence première pour construire une société, des droits, des lois. Tchouang-Tseu raconte ce mythe avec nostalgie, observant que même les belles constructions mentales : la musique, l’art, la bonté, la justice, marquent néanmoins une séparation de l’homme d’avec lui-même, une chute hors de l’innocence première où rien de cela n’était nécessaire.
Au-delà de sa tonalité passéiste, ce texte résonne avec d’autres mythes des origines. On redécouvre avec Po-lo, le premier dresseur de chevaux, l’aventure de Prométhée offrant le feu aux hommes, et avec la chute hors de ce monde originel dans lequel hommes et animaux vivaient ensemble et sans crainte, le récit de la Genèse et l’histoire d’Eve accédant à la conscience par le don serpentesque de la pomme.
Qui ne voit pourtant – et c’est l’objet de cet enregistrement, que la chute est également envol ? Qui ne perçoit que c’est en croquant le fruit défendu et en perdant son innocence que l’homme accède à l’humanité, que c’est en se détachant de lui-même qu’il devient enfin lui-même, que c’est en mourant à l’indistinction première qu’il peut naître comme homme ? Il faut, pour accéder à l’humanité, une transgression originelle. C’est ce que racontent les mythes.
Les mythes considèrent-ils vraiment que l’abandon de l’état de nature est mauvais ? Je ne le sais pas. Mais ils en parlent tellement que je ne le pense pas. Les mythes sentent confusément que sans la chute première, sans la transgression initiale, l’homme ne serait pas. Tant que l’enfant ne quitte pas la douceur du ventre maternel, il ne naît pas. Il est heureux mais il n’existe pas. Si Robinson, tel que raconté par Michel Tournier, ne quitte pas la fange dans laquelle il est douillettement installé, il meurt.
Il faut, et c’est également ce que raconte le Tsimtsoum, un décollement pour accéder à l’être, un arrachement, une transgression. Sans quoi rien n’existe.
Faut-il de la violence ? Faut-il subjuguer les autres êtres pour être et devenir homme ? Cela, je ne le sais pas.
Ce que je sais , c’est que, depuis cette chute qui nous fut renaissance, nous sommes divisés entre deux aspirations : l’une qui nous pousse vers l’état d’origine et l’autre qui nous fait ressentir le besoin de transgresser. Et parce que hommes, pieds sur terre et tête dans les étoiles, nous sommes l’un et l’autre, nous sommes déchirés ; nous sommes cette déchirure qui bée.
Amen.
Nous sommes tout et son contraire, pétris de contradictions, anges ou bêtes et yin et yang…
C’est joliment bien analysé comme toujours.
¸¸.•*¨*• ☆
Merci, Célestine.
Oui. Et c’est bien d’être à la fois tout et son contraire !
“sans la transgression initiale, l’homme ne serait pas”
et serait-ce si grave ?
Je serais curieuse d’observer ce monde parallèle où “la chute” ne s’est pas produite.
Le problème (tout relatif, je suis d’accord) est que, sans cette transgression initiale, il n’y aurait personne pour l’observer.
Mais effectivement, Cléa, ça n’est pas le plus important.
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