Quelque part dans les enfers, le Malin se frotte les mains. Car il a, une nouvelle fois, réussi à brouiller les cartes, à salir pour des années la cause qu’on voulait défendre et à rejeter dans le silence les femmes et les hommes de bonne volonté.
Catégorie : Le monde tel qu’il est
Ni les migrants qu’on laisse se noyer en Méditerranée, ni les populations qu’on laisse être exploitées, ni les massacres de lycéens en Ouganda, ni les famines, guerres et exils qui se propagent un peu partout, ni les exactions commises par l’Etat israélien, ni la douleur, immense, des Gazaouites bombardés et assiégés ne sauraient justifier ce qui a été fait. Rien, jamais, ne justifie le Mal.
Car quoi de plus extraordinaire, de plus profondément bouleversant que la prise de conscience de ce que les êtres autour de nous ne sont pas seulement des machines vouées à leur propre reproduction mais des sensibilités qui, comme nous, jouissent et jouent de la beauté des choses.
Nous accordons plus d’importance, d’intérêt et de valeur aux superstructures qu’aux éléments de base ; au superflu qu’à ce qui est nécessaire. De là une des difficultés à affronter la crise écologique : nous avons en effet beaucoup plus de mal à nous mobiliser et à ne serait-ce que dépenser de l’argent pour l’air, l’eau ou les autres ressources indispensables que pour un concert, un téléphone ou un beau vêtement.
Des techniques conçues pour industrialiser la mort, naquit l’industrie moderne qui, dotée de ces capacités massives de production, put ensuite les employer à la fabrication massive d’armes et permettre cette guerre totale dans la noirceur de laquelle est né notre monde moderne.
Il ne suffira pas, pour sauver le monde, de sobriété et de respect ; il y faudra aussi du réenchantement et de la poésie, de la magie et du sacré.
On pourrait penser que, depuis les millénaires que nous gravons, peignons, écrivons, composons, construisons, tout a désormais été dit, pensé, représenté, chanté, construit ; que nous ne pouvons que répéter ou singer ce que d’autres, avant nous, ont conçu et créé. Mais il n’en est rien : notre inventivité, notre capacité à créer du neuf et du beau est intacte, sinon même étendue par l’inspiration qui naît de la contemplation, de la confrontation aux œuvres passées ; loin de s’en épuiser, notre imagination s’accroît de tout ce qui est créé.
Sept milliards et demi d’un côté ; moins d’un million de l’autre. Nos cousins ne pèsent rien : chaque année, l’équivalent de dix fois la population totale des grands singes meurt de faim parmi les humains. Il y en a plein aussi, des enfants mignons aux grands yeux, qui disparaissent dans le malheur du monde. Et d’autres êtres vivants aussi, par milliards.
Il y a peut-être un lien entre la conception pornographique, réductrice, que les Talibans ont des femmes et la conception pornographique, utilitariste, également réductrice que certaines et certains d’entre nous ont du monde. Mais ça n’est pas une affaire de sexe.
Les mots répétés, ces déclarations solennelles qui ne conduisent à rien, ces grands discours qui demeurent lettre morte, ces paroles d’engagement qui deviennent litanies, se muent peu à peu en étouffoir : l’agonie de la planète disparaît sous la montagne de mots dont on la recouvre et dont on finit par se payer, en monnaie de ces singes qui continuent à disparaître dans l’inaction de nos propos.